Réserve des Sept-Îles : les pêcheurs volent dans les plumes de la LPO

La réserve naturelle nationale des Sept-Îles rassemble plus de 25 000 couples d’oiseaux marins et onze espèces nicheuses régulières. – Nicolas Memeteau / CC BY-SA 3.0 / Wikimedia Commons

La désignation de la LPO comme seule gestionnaire d’une réserve naturelle en Bretagne a provoqué des réactions virulentes des pêcheurs et de la Région. Ils craignent aussi d’être écartés des futures aires marines protégées.

La photo promettait d’être belle. Élus locaux, ministre, secrétaires d’État, acteurs économiques, de la pêche au tourisme et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) sont là, tout sourire devant les journalistes. L’objet de la cérémonie ? Inaugurer en grandes pompes l’extension maritime de la réserve naturelle nationale des Sept-Îles, dans les Côtes-d’Armor, jusqu’alors essentiellement terrestre.

Et… « ça a été la douche froide, dit à Reporterre Jacques Doudet, secrétaire général du comité des pêches de Bretagne. Depuis des mois, le ministère nous disait que notre demande de cogestion serait étudiée, qu’il y aurait un appel à manifestation d’intérêts. En réalité, non, la décision était déjà prise. »

Les pêcheurs l’ont compris ce jour qui devait être de fête, le 25 août dernier, de la bouche même du secrétaire d’État à la Mer, Hervé Berville. Pas de cogestion, pas d’appel à manifestation d’intérêts : la réserve sera gérée par la LPO seule, comme c’est le cas depuis 1976. Cette annonce, faite comme en passant, devant les journalistes, met le feu aux poudres et déclenche une réaction en chaîne dont les conséquences sont toujours vives deux mois plus tard.

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Quatre jours après, le 29 août, le comité des pêches régional s’insurge contre cette annonce dans un communiqué de presse« surprise et déception » se mêlent à la « colère des pêcheurs professionnels ». Ils y écrivent être mis devant le fait accompli par ce choix de modèle de gouvernance et défendent la légitimité des pêcheurs à être cogestionnaires de la réserve du fait de son extension maritime : « C’est pour cette raison que nous pensons pouvoir apporter une plus-value sur cette partie maritime », explique Jacques Doudet. Le courrier affirme aussi qu’une demande des pêcheurs, appuyée par le préfet des Côtes-d’Armor, d’être associés à la gestion attend une réponse du ministère de la Transition écologique depuis… 2021.

Un dévoiement de l’écologie ?

Deux jours plus tard, le 31 août, Daniel Cueff, vice-président mer et littoral à la région Bretagne jette de l’huile sur le feu. Son communiqué de presse fustige la gestion exclusive par la LPO, dénonçant « une conception radicale, et dévoyée dans son radicalisme, de l’écologie ». La Ligue pour la protection des oiseaux, placée de la sorte en première ligne, goûte peu la virulence de cette prise de parole de l’élu breton.

D’autant moins que cette association, reconnue d’utilité publique, a été créée en 1912 à la suite d’une mobilisation pour sauvegarder les macareux moines. Cet oiseau, devenu l’emblème de l’association, niche justement… sur l’archipel des Sept-Îles.

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L’archipel des Sept-Îles abrite une grande variété d’oiseaux marins. Membeth / Domaine public / WIkimedia Commons

Depuis, la LPO se mure dans le silence. Lorsque nous lui demandons un entretien pour parler de la nouvelle réserve et y faire un reportage, un rendez-vous est fixé, puis annulé, puis à nouveau fixé et à nouveau annulé. Elle renvoie la balle à son commanditaire, les services de l’État.

Avec l’État non plus, ce n’est pas simple. Le service de presse du ministère de la Transition écologique nous répond une première fois, puis passe aux abonnés absents. Enfin, nous obtenons un entretien. Comment donc la gestion de la réserve des Sept-Îles est-elle devenue une telle source d’embarras ?

Finalement interrogé par Reporterre sur ces réactions, le ministère de la Transition écologique confirme d’abord l’annonce d’Hervé Berville le jour de l’inauguration : « C’est une évidence pour tous les acteurs publics que la gestion revienne à la LPO, qui remplit sa mission, dictée par l’État, depuis plus de 40 ans », dit-on au ministère. La LPO a un rôle de prestataire, l’État a toujours le dernier mot. Par exemple, elle ne pourrait pas décider unilatéralement d’interdire l’accès à une zone de pêche. De plus, « une commission dédiée à la pêche sera créée et les modalités exactes de la gestion seront définies d’ici la fin de l’année », explique le ministère.

Le ministère reconnaît cependant que les propos du comité des pêches et du vice-président mer et littoral de la Région se justifiaient, alertant néanmoins sur le risque d’une vision « manichéenne des aires marines protégées », où « soit on autorise tout, soit on n’autorise rien. Ce n’est pas ce qu’il se passe en France ».

25 000 couples d’oiseaux

Jusqu’à son inauguration officielle, le projet d’extension maritime satisfaisait tout le monde : il est le fruit de plusieurs années de concertation et de recherche de consensus entre les différents acteurs locaux, comme le montrent les comptes-rendus des réunions qui se sont déroulées entre 2018 et 2021. Et qui ont abouti en juillet dernier, à l’officialisation par décret de l’extension de la réserve nationale des Sept-Îles. Sa superficie passant de 280 à 19 700 hectares, elle est devenue la deuxième plus grande réserve de France. En réunissant plus de 25 000 couples d’oiseaux marins et onze espèces nicheuses régulières, elle est la plus importante réserve naturelle du littoral français pour l’avifaune nicheuse, selon les services de l’État.

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Le macareux moine, emblème de la LPO, niche dans les Sept-Îles. Hanno / CC BY-SA 3.0 / Wikimedia Commons

Si la concertation s’est déroulée dans les règles, pourquoi des tensions ont subitement cristallisé ? Pourquoi le vice-président mer et littoral de Bretagne a-t-il parlé d’ONG à la « conception radicale, et dévoyée dans son radicalisme, de l’écologie » ? Cela alors même qu’une publication scientifique de septembre dernier a analysé la gouvernance de la réserve et les moyens de l’améliorer en donnant plus de place aux acteurs locaux ?

Auprès de Reporterre, Daniel Cueff justifie son discours et élargit le débat au-delà des Sept-Îles. « Nous sommes face à l’influence de certaines ONG environnementales qui estiment que l’être humain doit être en dehors d’un certain nombre d’espaces et qui veulent zoner le littoral avec une zone pour la biodiversité, une autre pour l’offshore et ainsi de suite. Ces ONG veulent privatiser l’espace maritime via les aires marines protégées. C’est une mosaïque qui n’a pas de sens pour le secteur de la pêche et qui s’inscrit dans une tendance récente. »

« Le problème, c’est un ministère paresseux »

Parle-t-il de la LPO et de la gestion de la réserve des Sept-Îles ? « Non, jure-t-il. La LPO est une pépite, elle gère la réserve depuis des années. Le problème, c’est un ministère paresseux, qui décide que ce sera exclusivement une ONG qui aura la gestion d’un espace littoral. Et les autres usagers, comme les pêcheurs, seront mis de côté dans des commissions ad hoc. C’est exactement ce qu’il ne faut pas faire. »

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Les pêcheurs ont dit leur agacement de n’avoir pas été associés à la gestion de la réserve depuis son extension maritime. Jehouanne / CC BY-SA 4.0 / Wikimedia Commons

Au-delà du cas de la réserve naturelle bretonne se trame l’enjeu des extensions maritimes d’autres réserves naturelles terrestres nationales, objet, elles aussi, de frictions entre les usages économiques de l’espace maritime et les objectifs de préservation de la faune et de la flore, raison d’être de ces espaces protégés. Ce que Jacques Doudet, du comité des pêches de Bretagne, explique à Reporterre : « La réserve naturelle des Sept-Îles est la première extension en mer, d’autres vont suivre. Pour nous, ce qu’il se passe dans les Côtes-d’Armor a valeur d’exemple au niveau national où une vingtaine d’autres réserves pourraient être concernées par des projets d’extension. » Une dynamique déjà à l’œuvre, comme dans le Finistère, où une extension de la réserve des Glénan est sur la table.