Cette année, c’est Otis, 453 kilos, qui a remporté la Fat Bear Week. Un événement organisé par le parc national de Katmai pour sensibiliser le public à la protection de cet animal.
C’est encore Otis qui a gagné ! Avec 453 kilos sous une tignasse revêche, le plantigrade a une nouvelle fois remporté la Fat Bear Week, le concours de l’ours le plus gras d’Alaska. A 25 ans, Otis a écrasé pour la quatrième fois la concurrence, soit Walker, le jeunot qui manque de niaque, et même 747, le tenant du titre, qui tire son nom de sa forme de Boeing.
Un come-back étonnant : à la fin de l’hiver dernier, Otis avait deux dents en moins et rien que la peau sur le dos. A force de s’empiffrer de saumons entiers (40 quotidiennement) au bord de la Brooks River, le champion a regagné 2 kilos par jour depuis juin. Une douce hibernation l’attend. Oubliez la fashion week.
Environ 2 000 specimens
La Fat Bear Week, qui s’est achevée le 5 octobre, a été lancée en 2014 par le parc national de Katmai, en Alaska, zone volcanique fréquentée par les ours bruns, les saumons qui remontent de la baie de Bristol, et les touristes qui aiment se poster sur les berges pour admirer les premiers gober les seconds. Le concours se déroule en ligne.
Le public choisit son mastodonte préféré selon les critères de son choix. A défaut d’être sur place à Brook Falls – le nombre de visiteurs est limité à 15 000 par été – il a, à sa disposition, des heures de vidéo live tournées par les « bear cam » de l’ONG de défense de la nature Explore. Les caméras sont postées au bord de la cascade qui fait office de garde-manger. Elles sont activées chaque jour pendant les éliminatoires. Certains électeurs votent selon leur cœur.
Les participants au Fat Bear Week 2021
« Otis is my man », explique un supporteur, qui loue sa manière minimaliste d’avoir l’air de faire la sieste tout en saisissant le poisson. Les amateurs font campagne pour leur champion à coups de fan art sur les réseaux sociaux. « Votez Holly ! » (l’une des rares femelles du club). « Elle va casser le plafond de verre rien qu’en marchant dessus. » D’autres développent plutôt une approche scientifique.
Le spécialiste en SIG (Système d’information géographique) Joel Cusick a mis au point une technique qui emprunte aux meilleures sources de l’ingénierie des voitures autonomes : le liDAR, ou télédétection par laser, qui permet de mesurer les objets à distance en émettant un faisceau de lumière renvoyé vers son point d’émission.
« J’ai essayé, et quand j’ai eu un retour de l’arrière-train d’Otis, je me suis dit : “Waouh, ça pourrait peut-être marcher” », a expliqué au magazine High Country News le scientifique après s’être posté sur les berges de la Brooks River. La technique pourrait faire école. Généralement, les ours sont pesés au printemps, quand ils sont faméliques. Il n’en faut pas moins un hélicoptère, un système de poulie et une piqûre de tranquillisant.
Au départ, la Fat Bear Week ne durait qu’une journée, baptisée « Fat Tuesday », comme le Mardi gras du carnaval de La Nouvelle-Orléans. Le concours s’étend maintenant sur une semaine. Cette année, il s’est enrichi d’une catégorie, celle des jeunes plantigrades. Le lauréat se voit décerner le titre de Fat Bear Junior.
Pour le parc national de Katmai, il s’agit de faire œuvre éducative, montrer la résilience de ses pantagruéliques résidents (ils sont environ 2 000) pour mieux les protéger et propager les connaissances sur leur invraisemblable métabolisme. Le saviez-vous ? Ursus arctos ne se réveille pas pendant cinq mois, pas même pour boire ou rejeter quoi que ce soit. Sans même remuer une oreille de tout l’hiver, il conserve sa masse musculaire : il se nourrit des protéines recyclées de sa propre urée.
Record battu
Et non, « ours brun » n’est pas synonyme de « grizzli ». Otis et ses amis vivent sur la côte, les grizzlis, eux, à l’intérieur des terres. Le public est ravi de se cultiver mais surtout de suivre son champion. Les passionnés de la fashion week des plantigrades suivent les éliminatoires comme le tournoi universitaire de basket-ball, la March Madness, avec leur bracket (« formulaire ») rempli lors de soirées avec les amis.
En 2019, ils étaient 250 000 à voter pour leur ours préféré, c’était déjà énorme (si l’on ose dire). En 2020, 650 000 participants. Effet pandémie, et surtout confinement. « On a constaté une augmentation de la fréquentation sur la plupart des vidéos de streaming animalières », note l’ex-ranger Mike Fitz, fondateur de la Fat Bear Week et responsable de l’ONG Explore.
Cette année, le record a été battu. Quelque 800 000 amateurs ont participé au concours (sur les 96 000 votes pour la finale, Otis a obtenu 51 230 contre 44 384 pour Walker). Le service média du parc a dû embaucher pour répondre à la demande de photos des stars dans l’intimité de leurs fourrés. Si on en croit Naomi Boak, l’une des rangers photographes, les humains éprouvent « une vraie joie » à voir les animaux ripailler, s’empiffrer sans se soucier de cholestérol, car pour eux la santé passe par l’obésité… « Les ours peuvent se permettre de faire quelque chose qui nous est déconseillé : être gras. »
Corine Lesnes (San Francisco, correspondante)
Le Monde