Le mystère des animaux qui nagent en cercle

Par Anne-Sophie Tassart le 23.03.2021

Plusieurs chercheurs ont remarqué que de nombreux animaux aquatiques nagent parfois en
cercle « à des vitesses angulaires relativement constantes ».

Mais pourquoi donc certains animaux marins nagent-ils inlassablement en cercle ? Dans une
nouvelle étude publiée le 18 mars 2021 dans la revue IScience, des chercheurs japonais et
français s’étonnent d’observer ces mouvements chez des requins, des tortues, des manchots etdes mammifères marins et tentent d’y trouver une explication

« Comme une machine »
Les nouvelles technologies permettent aux biologistes de retracer les mouvements des
animaux mètre après mètre et seconde après seconde. Une telle surveillance a été réalisée sur
des requins-tigres, des requins-baleines, des tortues vertes, des manchots royaux, des otaries
de Kerguelen et des baleines à bec de Cuvier. En examinant les mouvements de certains de
ces animaux, les chercheurs ont été étonnés de découvrir des périodes durant lesquelles ils
« font plus de deux cercles consécutifs à des vitesses angulaires relativement constantes ». L’équipe de Tomoro Narazaki, de l’Université de Tokyo, a remarqué pour la première fois ce
comportement chez des tortues vertes lors d’une expérience : elles avaient été déplacées d’un
endroit à un autre pour tester leurs capacités de localisation. « Pour être honnête, je n’en
croyais pas mes yeux quand j’ai vu les données pour la première fois : la tortue tourne si
constamment, comme une machine ! », se souvient dans un communiqué le chercheur japonais. En réalité, d’autres espèces adoptent cet intrigant mouvement. Il y a l’exemple de ces quatre
requins-tigres au large de Hawaï qui ont réalisé 272 événements circulaires (un événement
circulaire est défini comme étant composé d’au moins deux rotations consécutives à une
vitesse constante) au total durant la surveillance dans leur zone d’alimentation. Ces quatre
manchots royaux qui ont réalisé 267 événements circulaires. Et donc cette tortue verte qui a
tourné 76 fois puis qui, 20 heures plus tard, a recommencé intensément en faisant 37
rotations. « D’un point de vue énergétique, nager en ligne droite est le mouvement le plus
efficace et les mouvements sinueux ne devraient être privilégiés que si le coût plus élevé du
virage est compensé par d’autres avantages, tels que l’augmentation des chances d’atteindre
un objectif donné », remarquent les auteurs de cette nouvelle étude. Alors à quoi peuvent bien
servir de tels mouvements ?
Prudence sur l’interprétation d’un tel comportement
« Le phénomène de cerclage avait déjà été remarqué chez des tortues ou encore des requins.
Mais ces nouvelles observations publiées montrent que le phénomène a une valeur générique,
observé chez un grand nombre de taxons », explique à Sciences et Avenir le chercheur
Charles-André Bost, directeur de recherches au CNRS, responsable de l’Equipe Prédateurs
marins du Centre d’Etudes Biologiques de Chizé et co-auteur de cette nouvelle étude.
Concernant l’interprétation d’un tel comportement, le scientifique appelle à la prudence : « Cet
article scientifique montre avant tout l’existence de ce phénomène qui se produit à la surface
de l’eau ». Et de poursuivre : « Mais s’il fallait vraiment évoquer une interprétation intéressante
cela pourrait être celle de l’orientation : l’animal cherche à se repérer grâce à différentes clés
environnementales comme par exemple le magnétisme ». Ce comportement se voit très nettement chez les tortues, « même s’il ne s’agit pas d’une preuve » : « Quand elles sont volontairement déplacées, elles tournent pendant un certain temps avant de choisir un cap », explique le chercheur. « Une autre explication possible est l’alimentation : les baleines filtreuses cerclent autour d’un banc en surface pour se nourrir.
Enfin, chez les manchots, il s’agit peut-être d’un phénomène de toilettage en surface mais rien
n’est sûr encore une fois », poursuit-il. Cette recherche fondamentale « concerne un
comportement encore bien mystérieux de ces prédateurs marins : ils ont une capacité
phénoménale à s’orienter et dont on sait encore très peu de chose », conclut Charles-André Bost.