Le sauvetage spectaculaire du lynx ibérique, quasiment éteint

Au total, 2 021 lynx ibériques ont été recensés en Espagne et au Portugal. – Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Diego Delso

Cette espèce presque éteinte est passée de la catégorie « en danger » à celle de « vulnérable ». Une victoire de la science et une preuve de plus que le travail de préservation fonctionne.

Madrid (Espagne), correspondance

Nous ne sommes pas condamnés à regarder les espèces s’éteindre, emportées par l’inertie de nos sociétés. Après avoir frôlé l’extinction au début des années 2000, le lynx ibérique vient de sortir de la catégorie « en danger » de la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Le programme de protection et de réintroduction démarré il y a plus de vingt ans montre en effet des résultats très positifs depuis ces dernières années. L’espèce n’est pas tout à fait tirée d’affaire, elle reste dans la catégorie de « vulnérable ». Mais si la dynamique actuelle suit son cours, elle devrait en sortir.

Jadis présent jusque dans le sud de la France, le lynx pardinus, de son nom scientifique, espèce endémique de la péninsule ibérique, ne vit plus que dans le sud de l’Espagne. En 2001, il n’en restait plus que 94 dans le monde : 54 dans les montagnes de la province de Jaén, en Andalousie, et 40 dans le parc naturel de Doñana et ses environs, près de Séville, dans la même région. Vingt-trois ans plus tard, le ministère pour la Transition écologique compte 2 021 lynx, repérés sur une vingtaine de points de la carte, au sud de l’Espagne et du Portugal.

Rien n’est gagné. Pour que l’espèce soit considérée comme « viable », il faudrait que le nombre de femelles en condition de se reproduire s’approche des 1 100, contre 750 environ aujourd’hui. Autres points à contrôler, le braconnage et les collisions avec les voitures, qui causent plusieurs disparitions chaque année. Quant au risque d’une diminution importante des populations de lièvres sauvages, qui représentent 80 % de l’alimentation du lynx, il doit être surveillé de près, en raison de vagues épidémiques récurrentes. Mais le risque de disparition s’est nettement éloigné.

« Nous l’avons fait »

« C’est l’un des rares exemples, si ce n’est le seul, où nous avons été capables de sauver une espèce proche de l’extinction à ce point », se réjouit José Antonio Godoy, qui gère le programme Life Lynxconnect pour la Station biologique de Doñana, centre de recherche rattachée au Conseil supérieur de recherche scientifique (CSIC) en Espagne.

Au moment où le plan de secours a été lancé, le lynx pardinus était en « danger critique », catégorie qui précède l’extinction pour les animaux sauvages sur la liste rouge de l’UICN. Son habitat naturel avait été largement détruit au profit de l’agriculture et il existait une récompense économique pour qui tuait des représentants de cette espèce considérée comme nuisible. « Dans les années 60 et 80, les populations de lièvres sauvages ont connu une chute très importante en raison d’épidémies de myxomatosis [une maladie virale souvent mortelle] et de fièvre hémorragique. Ça a été le coup de grâce », complète José Antonio Godoy.

 

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La reproduction en captivité a aidé l’espèce. Wikimedia Commons/CC BY 3.0 ES/Lynxexsitu.es

Une « stratégie nationale de conservation du lynx ibérique », associant l’État espagnol, les régions, des organisations écologistes et le CSIC, a inversé la tendance. Le plan était de restaurer des zones d’habitat naturel de l’espèce, éviter les chocs avec les voitures, renforcer la surveillance et… réintroduire de nouveaux individus. Grâce à la reproduction en captivité pour relâcher de petits lynx sur des points spécialement sélectionnés. Une quarantaine chaque année depuis 2011. « Aujourd’hui, la dynamique de croissance est surtout due aux naissances de lynx sauvages », se félicite le spécialiste du CSIC.

La clé de ce succès ? L’appui social. « Le lynx jouit d’une forte sympathie dans la population. Cela aide à ce que le politique y soit sensible, à ce que des moyens soient mis sur la table et à ce qu’il y ait une vraie volonté de sauver l’espèce », analyse le scientifique.

Cette sympathie n’allait pas forcément de soi. La cohabitation est parfois difficile avec les éleveurs, qui peuvent subir des attaques de poules ou d’agneaux. Ou avec les chasseurs, qui estimaient que le lynx ne leur laissait pas assez de gibier. Des enquêtes d’opinion ont été réalisées sur les potentiels lieux de réintroduction, pour choisir ceux où le rejet social serait le moins fort et savoir comment démonter les idées reçues qui pourraient représenter un blocage.

« Si nous devions retenir une leçon de cette expérience, c’est que nous l’avons fait, dit José Antonio Godoy. Chaque espèce est différente et les mêmes recettes peuvent ne pas fonctionner avec toutes. Mais nous avons énormément appris sur la coordination des équipes, comment se mettre d’accord avec les administrations, élever en captivité et gérer la diversité génétique. Ça peut s’appliquer à d’autres cas. »

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