Plus de 4 000 kilomètres de clôtures fragmentent la Sologne, contraignant les mouvements des animaux et des personnes. Ne goûtant pas l’engouement des grands propriétaires pour ce type de pratique destinée à la chasse, le député François Cormier-Bouligeon a déposé une proposition de loi pour la faire cesser.
La Sologne, ses étangs, ses châteaux, ses forêts… et ses grillages. Plus de 4 000 kilomètres de clôtures découpent ce territoire, empêchant faune et promeneurs de circuler. Reporterre vous l’a déjà raconté, de grands propriétaires, tels que le célèbre coiffeur Franck Provost ou l’héritier du groupe de casinos Benjamin Tranchant, ferment leurs parcelles. Alors que le phénomène s’accélère, il est aussi de plus en plus contesté. Le député La République en marche (LREM) du Cher François Cormier-Bouligeon a décidé de s’en saisir. Il a déposé une proposition de loi « contre l’engrillagement des forêts françaises » le 16 novembre dernier à l’Assemblée nationale, et l’a présentée à la presse nationale mercredi 8 décembre. Reporterre l’a interrogé.
Reporterre — Qu’est-ce que l’engrillagement en Sologne, pouvez-vous nous le décrire ?
François Cormier-Bouligeon — Ce sont quelques grands propriétaires, trente ou quarante, qui ont entouré leurs parcelles avec de grandes clôtures, hautes de plus de deux mètres, en fer, avec des barbelés, enterrées au sol. De fait, plus un lièvre, un cerf, un chevreuil ou un sanglier ne peut passer, ils deviennent prisonniers de ces grandes propriétés.
Le but unique est de surconcentrer des animaux à l’intérieur de l’enclos, pour faire non pas de la chasse, mais des carnages d’animaux. Quand vous chassez, le respect de l’animal consiste notamment à le manger. Là, certains week-ends, ils tuent 100, 200 sangliers. Certaines propriétés ont des mini-tractopelles pour enterrer les cadavres d’animaux descendus en trop grand nombre. Les animaux ne sont plus à l’état sauvage. Ils sont affouragés [on leur distribue du fourrage], agrainés [du grain a été répandu], semi-domestiques. Ce n’est pas acceptable.
Quelles autres conséquences négatives de cet engrillagement avez-vous repérées ?
Cela porte atteinte au paysage, à la biodiversité, au bien-être animal, et fait encourir un risque sanitaire. Les animaux se reproduisent entre eux et cela créé une dégénérescence génétique. Bien que la loi de juillet 2019 ait interdit les importations de sangliers, nous avons de forts soupçons sur le fait que cela continue d’exister. Ce qui est une très mauvaise idée quand on sait que la peste porcine africaine est à nos portes.
La surpopulation d’animaux dans les enclos fait que vous n’avez plus un arbre qui pousse, tout est mangé. Dans ces propriétés, la Sologne est dans un triste état. Il y a un problème de bien-être animal car les animaux sauvages ne sont pas faits pour être emprisonnés. Les sangliers, les cerfs, les chevreuils ont besoin d’un espace naturel très vaste. Dans notre région, les animaux sont habitués à suivre des sentes, des coulées, où ils passent de la forêt d’Orléans à la forêt de Vierzon. Ces grands grillages les empêchent d’avoir ces migrations naturelles. Rien ne va dans ce système-là. Il faut y mettre fin.
Que proposez-vous pour l’arrêter ?
Tout d’abord, je tiens à le dire en préambule, le texte est cosigné par quatre-vingt députés. Il redéfinit ce qu’est un enclos. Actuellement, la loi dit que c’est une propriété hermétiquement close et que l’on peut y chasser sans respecter les saisons de chasse. J’inverse le principe, en incluant aussi les propriétés qui ne sont qu’en partie encloses. Cela répond à problématique de la mosaïque de grillages en Sologne. Et j’ajoute qu’à l’intérieur de ces propriétés, il est interdit d’y prélever des animaux.
Je suis précis, efficace, je vise le phénomène. Ensuite, j’ajoute qu’on n’a plus le droit d’y agrainer et affourager les animaux, et je renforce les capacités de contrôle administratif dans ces propriétés.
En voulant ôter ces grillages, ne vous accuse-t-on pas de porter atteinte à la propriété privée ?
J’entends bien les personnes qui disent qu’il faut absolument protéger les propriétés privées des intrusions. Mais c’est un prétexte. Je suis très attaché au respect de la propriété privée. C’est important de renforcer l’arsenal juridique contre les personnes qui y pénètrent soit pour chasser illégalement, soit pour cueillir des champignons en quantité.
Mais vous pouvez très bien matérialiser votre propriété avec une clôture en matériaux naturels, de 1 m 20 de hauteur, avec un espace au sol qui laisse passer les animaux. De cette façon-là, les gens savent qu’ils n’ont pas le droit d’aller au-delà.
Certains enclos de chasse commerciaux offrent, pour un certain prix, la possibilité de chasser à la journée ou au week-end et assurent des tableaux de chasse imposants à leurs clients. Vont-ils être concernés si votre loi est adoptée ?
D’abord, il y a très peu de parcs commerciaux. Et ensuite, il n’y a aucun moyen d’empêcher ces grandes propriétés de se déclarer sous ce statut. Donc, cette proposition de loi s’applique aussi aux parcs commerciaux.
Cela signifie que si ces parcs souhaitent continuer leur activité, ils devront enlever leurs clôtures actuelles et les remplacer par des clôtures aux dimensions prévues dans votre loi, permettant à la faune sauvage de circuler ?
Exactement. Il y a une éthique de la chasse, il faut y revenir. Les animaux doivent être sauvages.
Vous parlez beaucoup de chasse, mais cela concerne aussi d’autres usagers de la nature ?
Bien sûr, si je suis fer de lance sur ce sujet, c’est que je constate sur le terrain que les espaces ne sont plus partagés. L’un des éléments choquants, c’est qu’une partie de ces grands propriétaires privatisent des chemins communaux. Ils mettent des barrières, des grillages, des grilles canadiennes même pour empêcher l’accès [les grilles canadiennes sont conçues pour dissuader les animaux de passer tout en laissant les voitures circuler]. J’ai même vu des cours d’eau entravés par des grilles. C’est totalement illégal. La nature doit être un espace partagé entre les promeneurs, les sportifs, les chasseurs, les touristes. J’ai des témoignages de gens qui me disent qu’ils adorent la Sologne mais n’y viennent plus parce qu’ils ne veulent plus se promener entre des grillages de deux mètres de haut.
Ce phénomène de l’engrillagement se développe en Sologne et aussi ailleurs, comment l’expliquez-vous ?
Il y a de grands enclos dans le Sancerrois, dans la Brenne, en Picardie, dans les Landes… Je pense que l’engrillagement s’est accentué depuis que la loi belge a fait tomber les grillages de la chasse en Wallonie, cela s’est donc reporté sur la France. Deux autres phénomènes ont aussi entraîné une recrudescence. D’abord, le confinement, les gens avaient du temps et de l’argent à dépenser. Tout le monde s’est un peu réorganisé pendant le Covid !
Ensuite, la région Centre-Val de Loire a adopté un schéma régional qui veut que les clôtures ne fassent pas plus de 1 m 20, qu’elles soient en matériaux naturels, avec un espace au sol. C’est excellent, mais ce ne sera applicable que quand cela aura été retranscrit dans les plans locaux d’urbanisme. Et cela ne remet pas en cause les 4 000 kilomètres qui existent déjà. Donc, voyant la menace venir, les grands propriétaires se sont dépêchés de mettre le plus de grillage possible avant que la réglementation entre en vigueur. C’est pour cela qu’il faut une loi qui interdise la pratique des prélèvements d’animaux à l’intérieur des enclos. Je ne veux pas entériner l’existant.
Les associations écologistes ou de promeneurs sont plutôt habituellement antichasse, même celle que vous décrivez comme « éthique ». Y a-t-il une alliance de circonstances locale contre cet engrillagement ?
J’entends qu’il y ait des antichasses. Mais la lutte contre l’engrillagement rassemble aussi bien les chasseurs qui pratiquent une chasse éthique que les écologistes, les promeneurs, les sportifs, les habitants. Le sujet, c’est la protection des paysages, de la biodiversité, du bien-être animal. Tout le monde est concerné. C’est très logique que tous soient unis.
Le fait de redonner leur liberté aux animaux sauvages va dans le sens des chasseurs autant que des non-chasseurs. Je pars du principe que ce sont tous des passionnés, des amoureux de la nature. On se partage le territoire. Il faut essayer d’avoir une pensée un peu complexe. Et en l’occurrence, cela permet de créer un rapport de force contre les engrillageurs.
La proposition de loi déposée, quelle est maintenant la suite ? Avez-vous une chance de la faire adopter ?
Rien n’a bougé depuis vingt-cinq ans, le gros du travail était donc d’abord de faire un texte de loi solide. Il est déposé, soutenu. J’ai demandé qu’il soit inscrit lors des prochaines niches parlementaires consacrées à la majorité, en début d’année prochaine. J’ai l’impression d’être plutôt au début d’un combat qu’à la fin. On a des parties adverses très puissantes. Ce sont de grands propriétaires, des investisseurs. Cela explique pourquoi jamais personne n’a proposé de texte de loi avant, ou alors que les autres textes proposés sur le sujet entérinaient les grillages déjà existants. Je vais donc batailler pour faire inscrire ce texte, et avec toute l’humilité liée au fait que des élections arrivent bientôt, je vais continuer à le porter avec détermination.