Un loup piégé par un appareil photographique dans une forêt de l’Aude, en 2017
Les pouvoirs publics subventionnent massivement un recomptage des loups en Haute-Savoie par les agriculteurs et les chasseurs. Ces derniers veulent faire mentir à coups de drones et pièges photographiques les estimations de l’Office français de la biodiversité. Leur but : justifier la mise à mort de plus de loups
Sous les cimes enneigées, une bataille de chiffres fait rage. En Haute-Savoie, chasseurs, agriculteurs et écologistes se brouillent sur le nombre de loups et de meutes présentes dans les alpages. Selon le dernier comptage de l’Office français de la biodiversité (OFB), en 2021, 74 loups circulaient dans les montagnes du département. Chaque année, l’État autorise l’abattage de 19 % de la population au niveau national.
Une situation qui ne satisfait pas le monde de la chasse et la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA). Pour eux, la vie pastorale tout entière est mise en péril. Depuis l’arrivée du loup en 2009 sur le massif de Glières, « ce prédateur ne cesse de semer le trouble au cœur des territoires ruraux, dit à Reporterre le président de la fédération de chasse, André Mugnier. Le loup n’est plus une espèce protégée. Si rien n’est fait, cette situation déjà dramatique va s’aggraver. »
Main dans la main, chasseurs et exploitants agricoles contestent les estimations de l’OFB. Ils avancent un décalage de 30 % à 40 % entre les chiffres donnés et « la réalité de terrain » : « En 2021, on a abattu sept loups dans le département mais on devrait en prélever au moins 25 par an si on veut maintenir un effectif gérable et réguler l’espèce », affirme André Mugnier.
Dans la presse, la FNSEA et la fédération de chasse multiplient les attaques pour discréditer l’OFB. Un bras de fer est engagé et les chasseurs semblent avoir obtenu une première victoire, au grand dam des écologistes.
270 000 euros de subventions pour les chasseurs
Car le département de Haute-Savoie, présidé par un membre du parti Les Républicains et proche de Laurent Wauquiez, Martial Saddier, a attribué 270 000 euros de subventions à la fédération de chasse pour mettre en œuvre une campagne de comptage de loups, « contradictoire à celle de l’OFB ». Cette aide publique s’ajoute au 650 000 euros sur cinq ans alloués par le conseil départemental à la fédération ainsi qu’aux 304 100 euros sur trois ans de la région Auvergne Rhône-Alpes — région dont les accointances avec les chasseurs ne sont plus à prouver.
Plus étonnant, l’État a aussi concouru à hauteur de 20 000 euros à ce nouveau projet alors même que celui-ci remet en cause le travail de ses propres fonctionnaires. Cédant aux sirènes des exploitants agricoles et à la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, qui affirmait que « l’OFB ment », Julien Denormandie, alors ministre de l’Agriculture, s’était déjà dit favorable à un recomptage du nombre de loups.
Compter plus pour tuer plus
Ce recomptage sera désormais effectué par les chasseurs et les agriculteurs eux-mêmes, accompagnés par des louvetiers. Les subventions des pouvoirs publics permettront l’achat d’une profusion de moyens techniques, pièges photographiques, caméras thermiques, drones et enregistreurs sonores, ainsi que des véhicules.
Pour les chasseurs, l’objectif de ce comptage est clair et pleinement assumé : il s’agit de chiffrer plus pour tirer plus. « Je qualifie cette opération de vérité, dit à Reporterre André Mugnier. On verra qui se trompe mais je pense qu’il y a beaucoup plus de loups que ce que l’on nous raconte. Ce nouveau comptage nous permettra de prélever davantage de loups. Cela remettra aussi en cause l’estimation de l’OFB au niveau national. »
Dans un communiqué, France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes crie au scandale : « L’argent coule à flots pour les opposants au loup », écrit-elle. « Avec cette subvention, l’État et le département humilient le travail de l’OFB, regrette son porte-parole, Roger Mathieu. Ils remettent en cause le travail mené par 4 000 personnes en France et leur méthode soutenue par les scientifiques et le CNRS (Centre national de la recherche scientifique). C’est une honte. »
Au cœur de la polémique, plusieurs enjeux sont soulevés : comment les chasseurs vont-ils évaluer le nombre de loups et selon quelle méthodologie ? Ne risquent-ils pas non plus d’être juges et parties ?
« Il faut qu’on arrête avec cette approche scientifique »
« Cette débauche de moyens techniques disparates, avec des drones, etc., contraste avec l’absence de méthodologie permettant d’évaluer la pertinence de l’opération, sa cohérence et sa robustesse en matière scientifique, souligne Roger Mathieu. Dans aucun pays on n’utilise des caméras thermiques ou des enregistreurs pour compter des loups, cela permet simplement d’étudier leur comportement. »
Selon ce spécialiste, qui suit depuis des années une vingtaine de meutes dans le massif alpin, les risques d’erreurs avec ces outils techniques sont nombreux : « Il est très difficile sur une vidéo ou une photographie de distinguer un loup d’un autre. On ne compte pas les loups comme des moutons dans un enclos. C’est pour cela que l’on ne fait pas de comptage mais une estimation. Elle se fait à travers des prélèvements biologiques que l’on retrouve sur des poils ou des crottes et des analyses génétiques et statistiques. »
Mais pour les chasseurs, cette méthodologie ne semble pas avoir d’importance. « Je m’en fiche de la génétique, s’emporte André Mugnier. Cette question ne m’intéresse absolument pas. La présence des loups est insurmontable et il faut les réguler. Il faut qu’on arrête avec cette approche scientifique qui permet de différer progressivement le nombre de prélèvements de loups alors qu’aujourd’hui, il y a urgence. »
France Nature Environnement a d’ores et déjà annoncé qu’elle récusera les chiffres des chasseurs.