Des chercheurs ont mené une nouvelle étude pour percer le secret d’une espèce de scarabée qui a la particularité d’avoir une carapace extrêmement résistante. Une protection qui lui permet de résister à la compression, y compris au passage d’une voiture.
Emeline Férard Publié le 22/10/2020 à 14h53 – Mis à jour le 22/10/2020
Avec son corps sombre, sa surface rugueuse et ses excroissances, Nosoderma diabolicum ressemble davantage à un morceau de bois ou une pierre grêlée qu’à un scarabée chatoyant. Cette espèce de coléoptère originaire d’Amérique du Nord figure pourtant parmi les plus fascinantes et pour cause, elle est incroyablement résistante.
Plus exactement, c’est sa carapace qui fait preuve d’une solidité hors normes. Elle figure même parmi les structures les plus coriaces du monde biologique. Inutile donc de tenter de piétiner le diabolical ironclad beetle (en français, le scarabée blindé diabolique), il repartira indemne, comme si de rien n’était.
L’animal qui mesure entre dix et vingt millimètres de long évolue dans les habitats désertiques du sud-ouest des Etats-Unis. Il s’abrite généralement sous des pierres ou dans des arbres, entre l’écorce et le tronc. Un mode de vie qui explique sans doute pourquoi il doit montrer une certaine solidité.
« Conçu comme un petit tank »
Mais quel est le secret de son exosquelette ultra-résistant ? C’est ce que des chercheurs ont voulu déterminer à travers une nouvelle étude. N. diabolicum « est un scarabée terrestre, donc il n’est ni léger, ni rapide. Il est plutôt conçu comme un petit tank« , a expliqué David Kisailus, professeur à l’université de Californie à Irvine dans un communiqué.
« C’est son adaptation : il ne peut pas voler, donc il reste sur place et laisse son armure spécialement conçue pour subir l’assaut jusqu’à ce que le prédateur abandonne« , a-t-il poursuivi. En menant leurs recherches publiées dans la revue Nature, les scientifiques ont pu constater que la réputation du scarabée n’était pas usurpée.
La carapace du scarabée constitue un bouclier très protecteur. On peut observer ici la répartition de ses organes sous son exosquelette. © Jesus Rivera/University of California, Irvine
Après avoir collecté plusieurs spécimens dans les environs, ils les ont soumis à des tests de compression. Les résultats ont montré que le coléoptère est capable de résister à une force d’environ 150 newtons, soit une charge équivalant à environ 39.000 fois sa masse corporelle.
A titre de comparaison, cela correspondrait pour un homme de 90 kilogrammes à une charge de 3,5 millions de kg. Une résistance exceptionnelle qui permettrait au scarabée d’éviter bien des dégâts. Selon les chercheurs, il pourrait ainsi supporter le passage d’une voiture et la force exercée par le pneu estimée à 100 newtons.
En testant d’autres scarabées terrestres, l’équipe a constaté qu’ils étaient incapables de résister à une force moitié moindre que celle supportée par N. diabolicum. Restait à mettre en évidence les particularités lui permettant d’être quasiment indestructible.
Un exosquelette bien pensé
Pour en savoir plus, l’équipe a examiné en détails la carapace en utilisant différentes technologies. Ils ont ensuite réalisé des simulations et conçu des modèles imprimés en trois dimensions pour mettre à l’épreuve leurs hypothèses. Ils ont conclu que le secret réside dans la composition et l’architecture de l’exosquelette et surtout des élytres.
Les élytres sont les structures rigides qui recouvrent et protègent les ailes lorsque les insectes ne sont pas en vol. Or, chez le scarabée diabolique, elles ont évolué pour constituer un véritable bouclier protecteur. Leur couche externe est composée d’une teneur significativement plus élevée en protéines, les rendant plus solides.
Quant à leur structure, les deux élytres sont connectées au niveau d’une suture qui fonctionne comme les pièces d’un puzzle. Quand le scarabée est soumis à une compression, elles lui offrent ainsi deux lignes de défense. Leurs connexions se bloquent pour empêcher les structures de se séparer et d’exposer les parties plus fragiles.
La suture entre les élytres est composée de structures qui se connectent comme les pièces d’un puzzle. © Jesus Rivera / UCI
Dans le même temps, les microstructures situées au niveau de la suture se déforment et se décollent afin de dissiper l’énergie issue de la compression. Autant de mécanismes qui empêchent la carapace de céder de façon irréparable sous la force exercée et de tuer l’insecte. Tant que la force en question ne dépasse pas sa capacité de résistance.
« Quand vous brisez une pièce de puzzle, vous vous attendez à ce qu’elle se divise au niveau de la jointure, la partie la plus fine« , a décrypté David Kisailus. « Mais nous n’observons pas ce genre de rupture catastrophique avec ce scarabée. Au lieu de cela, il se délamine, aboutissant à une rupture plus en douceur de la structure« .
Une inspiration pour des matériaux plus résistants ?
Si le scarabée diabolique n’a pas encore révélé tous ses secrets, ces conclusions confirment ses impressionnantes capacités de résistance. Une particularité qui pourrait ouvrir la voie vers certaines applications et notamment la conception de matériaux plus durables et plus résistants pour surmonter des difficultés techniques.
En guise d’exemple, les chercheurs évoquent les turbines à gaz des avions : celles-ci sont constituées de pièces métalliques et composite associées par une attache métallique. Une attache qui rajoute du poids et introduit un stress qui peut conduire à des fractures et de la corrosion. Grâce à N. diabolicum, une nouvelle solution pourrait voir le jour.
« Ces attaches diminuent les performances du système et ont besoin d’être remplacées très souvent. Mais les sutures interfaciales du scarabée blindé diabolique aboutissent à une rupture plus robuste et prévisible qui pourrait aider à résoudre ces problèmes« , a souligné Maryam Hosseini, post-doctorante qui a participé à l’étude.
Inspirés par leurs résultats, les chercheurs ont conçu une attache composite en fibres de carbone imitant les structures de l’insecte. Ils ont conclu que leur innovation, soumise à des tests, était plus solide et résistante que les dispositifs actuellement fabriqués et utilisés.