Par Rédacteur le 30.03.2021
Des chercheurs sont parvenus à démontrer que les oiseaux sont capables d’apprendre à reconnaître les papillons à éviter en raison de leur vitesse et de leur agilité, grâce aux formes et aux couleurs présentes sur leurs ailes.
Une étude suggère que les couleurs et les motifs de certains papillons avertiraient les prédateurs de leur vitesse et de leur agilité. Chez les papillons Adelpha, de nombreuses espèces présentent l’un des trois motifs communs.
Jeff Gage/Muséum d’Histoire Naturelle de Floride
L’impressionnante variété de couleurs et de formes des ailes des papillons est le fruit de processus évolutifs qui leur permettent non seulement d’attirer des partenaires sexuels, mais aussi de se protéger des prédateurs comme le montre une nouvelle étude publiée dans The Royal Society. Celle-ci a révélé que les oiseaux friands de lépidoptères sont capables de mémoriser les motifs colorés arborés par des spécimens qui leur ont déjà échappé plusieurs fois, afin de ne plus perdre de temps et d’énergie dans des poursuites vaines. Par mimétisme dit « de fuite », d’autres espèces de papillons particulièrement rapides ont au cours du temps adopté les mêmes motifs visuels pour se protéger des prédateurs : n’ayant qu’un seul motif à mémoriser, les oiseaux risquaient moins de se tromper de cibles au cours de leur apprentissage.
De gauche à droite / Adelpha salmoneus, Adelpha cocala et Adelpha epione. Crédit: Jeff Gage/Florida Museum of Natural History.
Les oiseaux intoxiqués aux « monarques »
Cet avertissement visuel aux prédateurs a été mis en évidence par le passé pour les papillons dotés de défenses chimiques, tel le monarque (Danaus plexippus), un papillon américain aisément identifiable à ses larges ailes orangées serties de nervures noires. Ces couleurs vives annoncent haut et fort leur toxicité, acquise au cours de la vie de la chenille qui grignotait en abondance de l’asclépiade (une plante herbacée toxique). Un oiseau ayant ingéré un monarque sera conséquemment si malade qu’il préférera éviter cet aliment par la suite. Certaines espèces de lépidoptères se sont ensuite parées des mêmes attributs visuels pour se protéger des prédateurs, qu’ils disposent ou non de toxines.
Mais ces avertissements visuels sont en réalité plus étendus qu’on ne le pensait. En 1971, une étude menée par l’entomologiste Carl Hildebrand Lindroth portait sur des espèces de coléoptères très vifs, dont les ailes colorées présentaient de grandes similitudes. Le chercheur suédois s’était alors demandé si ces insectes, par ailleurs dépourvus de défenses chimiques, auraient pu s’orner au cours de leur évolution de signes visuels caractéristiques, reconnaissables par leurs prédateurs. C’est cette hypothèse qu’a voulu explorer Keith Willmott, chercheur au Muséum d’histoire naturelle de Floride, et son équipe internationale.
« Prédateurs, passez votre chemin ! »
Le chercheur s’était par le passé intéressé au genre Adelpha, qui regroupe des papillons particulièrement véloces, et dont certaines des espèces qui le composent sont presque indissociables. Nombre de chercheurs pensaient jusque-là que ce mimétisme témoignait de défenses chimiques cachées. Keith Willmott soupçonnait quant à lui l’expression d’un « mimétisme de fuite » porteur de ce message : « Prédateurs, passez votre chemin ! Mes capacités de fuite sont bien au-delà de vos talents de chasse« . Restait à prouver le concept.
L’expérience mise au point par l’équipe de scientifiques a recruté des mésanges bleues sauvages, une espèce européenne qui n’avaient jamais vu auparavant de papillons Adelpha. Dans une première phase d’apprentissage, les passereaux ont été mis en contact avec de faux papillons en papier dont les motifs colorés, inédits pour eux, appartenaient à des Adelpha. Ces artefacts ont été associés à deux expériences négatives pour les mésanges : celle de l’amertume et celle de la fuite.
Les faux papillons utilisés par les chercheurs. Crédit: Erika Páez.
« Une étude qui fera date »
Sous le faux thorax des premiers papillons étaient attachées une amande préalablement trempée dans une solution amère, alors que les seconds dissimulaient une friandise normale. Ces derniers étaient attachés à un rail, ce qui permettait de simuler une fuite rapide dès qu’un oiseau se décidait à les attaquer. Lors de la seconde phase de généralisation, les mésanges ont montré qu’elles avaient appris à reconnaître les motifs colorés des Adelpha : elles les évitaient cette fois, leur préférant les papillons bruns communs.
Selon Marianne Elias, spécialiste de biologie évolutive au Muséum national d’histoire naturelle et coauteur de l’étude, « cette étude fera date, car c’est une démonstration expérimentale rigoureuse que des prédateurs sont capables d’associer un motif coloré particulier à la difficulté de capture des proies, et de généraliser cette association à des motifs proches ». Il semblerait même que la rapidité et l’agilité des proies soient plus dissuasif pour les prédateurs que leur amertune. En effet, cette expérience a montré que les mésanges étaient 1,6 fois plus susceptibles d’attaquer un papillon de mauvais goût qu’un papillon véloce: le premier fournira toujours un repas à l’oiseau, ce qui ne sera pas le cas du second. La convergence évolutive observée chez certaines espèces de papillon Adelpha, à l’origine de leur grande ressemblance, serait ainsi le fruit du « mimétisme de fuite ». Un processus qui pourrait expliquer pourquoi d’autres insectes dépourvus de défenses chimiques possèdent des indices visuels similaires.
Par Angèle Petit