Par Anouk Tomas
Chez les grillons, les mâles les plus petits utilisent de larges feuilles comme des mégaphones pour amplifier leurs appels sonores en vue de la reproduction. Ils ont recours à cette technique d’amplification sonore car les femelles choisissent leurs partenaires en se basant sur leur taille, et donc sur la puissance de leurs appels.
Les mâles possèdent des organes sonores situés à la base des élytres, les épaisses ailes antérieures qui recouvrent les ailes postérieures au repos.
La sélection sexuelle désigne l’évolution en faveur de certains traits héréditaires par rapport à d’autres, dans un contexte de compétition entre les individus d’une même espèce en vue de l’accouplement. Chez l’Oceanthus, un genre d’insectes orthoptères (c’est-à-dire qui ont des ailes alignées par rapport à leur corps) de la famille des grillons, les mâles attirent les femelles pour se reproduire et ces dernières favorisent les partenaires les plus grands. Les petits gabarits ont donc trouvé une astuce pour avoir eux aussi leur chance
Une préférence de taille
L’attirance des femelles pour les grands mâles peut s’expliquer par le fait que ces derniers sont plus susceptibles d’assurer une reproduction efficace, et donc le maintien de l’espèce. Elles les repèrent grâce aux sons qu’ils produisent, plus puissants que leurs congénères de plus petit gabarit. La durée de l’accouplement a en effet tendance à être plus importante avec les grands grillons, ce qui permet le transfert d’un plus grand nombre de spermatozoïdes. La taille des grillons mâles est donc d’une importance capitale pour la pérennité de l’espèce.
Une équipe de Indian Institute of Science s’est penchée sur une stratégie alternative mise en place par les mâles les plus petits pour signaler malgré tout leur présence aux femelles : ces grillons utilisent des feuilles comme amplificateur sonores en creusant un petit trou au milieu pour en faire une sorte de mégaphone improvisé. Cela leur permet d’augmenter l’amplitude de leurs appels et leur portée, et par conséquent de réussir à attirer plus de femelles. Les résultats de l’étude ont été publiés dans la revue scientifique de The Royal Society.
Une technique bien perfectionnée
Les outils utilisés par les grillons sont créés à partir de simples feuilles à leur disposition : ils découpent un trou dans celles-ci et y insèrent leur tête ainsi que le haut de leur corps avant de lancer leurs appels. Le son produit est concentré et amplifié par la forme de la feuille, de façon similaire au principe d’un mégaphone. Cette technique a été largement perfectionnée par les petits grillons, qui n’utilisent pas la première feuille trouvée : ils choisissent avec soin de larges feuilles et creusent leur trou dedans de façon optimale pour maximiser l’amplification. Plus les feuilles sont grandes, plus le son sera augmenté.
Ce phénomène reste rare dans la nature : seulement 5% des grillons étudiés utilisent cette technique d’amplification. Ce sont les plus petits spécimens dont les appels sont les plus faibles. Mais finalement, pourquoi les plus grands ne se laisseraient-ils pas tenter eux aussi ?
Les chercheurs ont conclu que ce n’était réellement avantageux que pour les petits spécimens, car les appels sonores des plus grands insectes suffisent déjà à attirer près du nombre maximum de femelles avec lesquelles ils peuvent se reproduire par nuit (nombre estimé à environ 3 selon le rapport entre le temps d’activité de l’insecte et la durée moyenne de l’accouplement) : l’amplification ne serait donc ni nécessaire ni même utile pour eux. Une perte de temps et d’énergie, en somme.
Dans la nature, cette technique d’amplification confère aux mâles qui l’utilisent une augmentation de volume et de puissance sonore allant de 8 à 12 décibels (dB), ce qui – à leur échelle – est significatif. Les scientifiques ont également testé l’efficacité de la technique en laboratoire : les grillons étaient au final bien capables de doubler, voire même de tripler leur volume sonore initial.