Un consortium regroupant universités, centres de recherche et ONG internationales de protection de la nature a procédé à la première revue de tous les articles scientifiques évaluant l’effet des politiques de protection.
Cela n’avait jamais été fait ! Des chercheurs, des universitaires, des biologistes travaillant pour des organismes internationaux comme Bird Life International ou l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) ont plongé dans les archives scientifiques pour faire un état des lieux des études qui ont évalué les résultats des politiques de conservation des espèces et de leur habitat. Leurs conclusions viennent d’être publiées dans la revue Science.
Agir pour protéger la nature, ça marche vraiment
Ce groupe a recensé 1445 travaux publiés entre 1890 et 2019, mais ils n’ont retenu que ceux qui permettaient de faire une comparaison entre les effets d’une politique de conservation sur un milieu ou une espèce et une situation où une telle politique n’aurait pas été mise en œuvre. 186 études ont ainsi été incluses dans cette « méta-analyse ». Le résultat est très positif : dans plus de la moitié des cas, l’action entreprise a permis de restaurer les habitats et d’augmenter les populations d’animaux et de végétaux visés par le programme.
Les chercheurs ont considéré sept types d’intervention :
- la création et la gestion d’une aire protégée
- les actions pour réduire la perte ou la dégradation de milieux naturels
- l’instauration de règles durables de prélèvement des espèces par chasse ou pêche par exemple
- la gestion durable des écosystèmes
- le contrôle des pollutions
- la lutte contre les espèces invasives
- et l’adaptation au changement climatique
Dans 45% des cas, la biodiversité a été fortement améliorée et dans plus de 29%, le déclin des espèces ou la dégradation du milieu a été ralenti. 11% des programmes ont eu des effets négatifs, le solde étant constitué d’actions qui n’ont pas eu d’effets ni négatifs, ni positifs.
Des bémols doivent cependant être apportés. La moitié des études proviennent des pays développés et la plupart des travaux ont porté sur les actions entreprises dans les aires protégées terrestres et marines et non sur des espaces plus « ordinaires » où l’action de l’Homme s’exerce. Par ailleurs, peu d’évaluations ont été opérées sur des écosystèmes globaux, et les études sur la biodiversité génétique restent également rares.
Des résultats spectaculaires
Parmi les différentes actions de conservation, l’éradication, le contrôle et la gestion des espèces invasives apportent les meilleurs résultats notamment dans les îles, suivi par les actions de réduction de la destruction d’habitats, la gestion des milieux naturels par l’instauration d’aires protégées.
Les aires protégées ont montré leur efficacité pour diminuer la conversion des terres en zones exploitées (agriculture, exploitation forestière). Elles permettent de réduire la perte d’habitats naturels et notamment de massifs coralliens, de zones forestières par la diminution des incendies, et de stopper les risques d’extinction des espèces. Dans les aires marines, les protections comme l’interdiction de pêche permettent d’augmenter la biomasse et la densité d’organismes marins. « Notre étude montre que les actions de conservation marchent vraiment. En d’autres termes, ils produisent souvent des résultats pour la biodiversité qui ne sont pas juste une petite amélioration mais bien un rétablissement important », se réjouit Jake Bicknell, chercheur à l’Université de Kent (Royaume-Uni) et co-auteur de l’article.
Les auteurs mettent en avant des résultats spectaculaires. Ainsi, la réduction drastique de ratons laveurs et de porcs sauvages sur les îles Cayo Costa et North Captiva, le long de la côte de Floride aux Etats-Unis, a permis de faire diminuer la prédation des œufs de tortues caouannes de 60 et 74% respectivement sur les deux îles. Dans le bassin du Congo, la déforestation est 74% moins importante dans les concessions obéissant à un plan de gestion comparée à celles n’en ayant pas. En Amazonie, les aires protégées et les terres indigènes réduisent à la fois les taux de déforestation et le nombre d’incendies. Les élevages et lâchers de saumons Chinook dans le bassin versant de l’Idaho ont permis de faire remonter les populations de ce poisson sans impact sur les souches sauvages.
Les Etats se sont engagés à ne plus détruire les zones naturelles en 2030
Les organismes de gestion des espaces protégées avaient bien besoin d’un retour sur l’efficacité de leur action. Celle-ci est en effet mise en cause par les maigres résultats obtenus lors de la dernière décennie.
Adoptés en 2010 à Nagoya (Japon) par les 195 Etats membres de la Convention sur la diversité biologique (CDB), les « objectifs d’Aichi », qui devaient stopper la dégradation de la nature pour 2020, n’ont pas été respectés. Pire, la situation des espèces animales et végétales sauvages a empiré et le taux d’extinction des espèces s’est accéléré, ainsi que l’a démontré le rapport de la « plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques » (Ipbes) de 2019.
L’efficacité des aires protégées a été mise en doute par les scientifiques eux-mêmes, arguant que tracer des limites sur une carte ne suffisait pas à créer une protection de ces espaces si des moyens n’étaient pas mis en œuvre pour faire respecter les règlements. Ainsi, si des progrès ont été enregistrés sur les surfaces protégées, l’efficacité reste à prouver dans bon nombre d’endroits qui ne sont protégés que sur le papier.
En 2022, la communauté internationale s’est donnée de nouveaux objectifs dans le cadre de l’Accord de Kunming-Montréal. Les Etats se sont engagés à ne plus détruire des zones de haute importance pour la biodiversité à l’horizon 2030, à restaurer au moins 30% des zones dégradées, à protéger au moins 30% des terres et des mers et à stopper l’extinction des espèces animales et sauvages provoquée par l’action de l’Homme. L’étude démontre que des outils efficaces existent pour atteindre ces objectifs. Il suffit de les appliquer avec toute la rigueur requise.
Source : Sciences & Avenir