Par Loïc Chauveau
Le rongeur bénéficie d’un plan de protection contraignant. Au point d’aviver les tensions en Alsace. Pourtant, sa disparition met en péril tout l’écosystème.
Ne pas se fier à son regard tendre, son poil doux et roux, ses petites oreilles pointues. Le grand hamster n’a que peu de rapport avec le hamster doré, le placide animal de compagnie. Cricetus cricetus, surnommé la « marmotte d’Alsace », est un rongeur sauvage et agressif, endémique de cette région et — surtout — emblématique de sa mauvaise santé écologique. L’animal se retrouve régulièrement sous le feu des projecteurs lors de la construction de nouveaux projets d’urbanisme. Le dernier en date : le projet de Grand Contournement Ouest de Strasbourg (GCO). Un tronçon autoroutier de 24 km visant à désengorger le trafic autour de cette ville, en ralliant directement l’autoroute A4 et la jonction A35 / A 352. La publication d’un arrêté préfectoral le 31 août 2018 a lancé le feu vert pour la construction de ce chantier polémique.
L’animal n’a plus aucun endroit où se cacher
Un chantier qui, selon ses opposants, présente de nombreux inconvénients parmi lesquels celui de faire peser une menace sur Cricetus cricetus, ce minuscule mammifère que l’on pourrait croire sans importance. Et pourtant… La réalité se révèle, en fait, beaucoup plus complexe. Comme souvent en matière d’écologie, ce n’est pas seulement le grand hamster qui est menacé mais l’ensemble d’un écosystème indispensable à la vie de nombreuses autres espèces. « Cet animal est un indicateur crucial de la bonne santé écologique du milieu de la plaine d’Alsace, résume Christian Dronneau, chargé de mission biodiversité au conseil régional. Là où il est présent, lapins, cailles, perdrix, rapaces et des petits carnivores comme le renard ou la fouine sont également présents. » Or, la situation du grand hamster et des espèces associées est aujourd’hui dramatique. Alors qu’il s’épanouissait dans un système agraire où se succédaient de petites parcelles céréalières et légumineuses comme la luzerne, il est aujourd’hui chassé par l’extension de la monoculture du maïs qui représente désormais 60 à 80 % de la surface agricole de la région.
« Cette culture lui est rédhibitoire, dénonce Jean-Paul Burget, président de l’association Sauvegarde de la faune sauvage. Quand il sort d’hibernation début avril, le maïs n’est pas encore semé et la terre est à nu. L’animal n’a donc plus aucun endroit pour se cacher de ses prédateurs, ce qui n’était pas le cas avec la luzerne ou le blé. » Seules de rares espèces opportunistes, comme le corbeau ou le sanglier, tirent profit de cette monoculture. Résultat : ils pullulent, occasionnant des dégâts considérables, estimés à 3,5 millions d’euros en Alsace, en 2012, pour le seul sanglier. Acculé, le hamster a été peu à peu contraint de vivre dans des poches, qui rétrécissent à cause de l’urbanisation. L’Alsace est en effet une région très peuplée avec une densité de 220 hab/km2 et quelque 1000 hectares sont aménagés chaque année. Bien que strictement protégée par la Convention de Berne de 1979 et par la directive européenne Habitat de 1992, l’espèce a vu ses effectifs régresser constamment jusqu’à atteindre aujourd’hui un point critique avec à peine 300 terriers recensés, alors qu’il en faudrait 1500 au moins pour assurer sa survie.
Depuis le 11 mai 2017, l’ONCFS est cependant autorisée à réintroduire dans le milieu naturel plusieurs centaines de grands hamsters pour relever les populations. Cette démarche est peut-être à l’origine le 4 octobre 2017 du classement de la plainte déposée en 2011 contre la France par la Commission européenne.