L’alimentation bio est plus saine, même pour les oiseaux

REPORTERRE            Margaux Otter

perdrix grise

Pourquoi les perdrix disparaissent-elles aussi massivement ? Des chercheurs ont étudié les effets des pesticides sur leur santé. Résultats : une immunité en berne, des petits œufs, une reproduction altérée… « Le développement du bio pourrait sauver les agrosystèmes », conclut un chercheur.

« Chez les oiseaux aussi, manger bio est meilleur pour la santé. » C’est le constat d’une étude publiée en mars 2021 dans Environmental Pollution. En 2017, pendant vingt-six semaines, des chercheurs du Centre d’études biologiques de Chizé, dans les Deux-Sèvres, et du laboratoire Biogéosciences de l’Université de Bourgogne ont étudié les effets des produits phytosanitaires sur la santé des oiseaux. Pour cela, ils ont nourri quarante perdrix grises de céréales issues soit de l’agriculture conventionnelle, soit de l’agriculture biologique et en ont étudié les effets sur leur santé. L’étude a été renouvelée l’année suivante avec trente-huit oiseaux.

Ils n’ont pour cela ajouté aucun pesticide dans l’alimentation. « Pour étudier les chances du survie des oiseaux après exposition aux pesticides, les autres études ont recours à l’intoxication. Pour des raisons éthiques, nous nous sommes refusés à cela, dit à Reporterre Vincent Bretagnolle, du Centre d’études biologiques de Chizé, rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). « Nous ne voulions pas entrainer la mort des individus mais étudier les effets sublétaux, délétères à long terme, et l’effet cocktail des pesticides. » Les graines provenant de l’agriculture conventionnelle ne contiennent ainsi que de très faibles résidus d’une quinzaine de pesticides. Une nourriture que les oiseaux sont susceptibles de retrouver dans la nature. « Même une toute petite différence entraîne des effets spectaculaires », souligne le chercheur.

« Elles ont plus de mal à prendre leur envol et deviennent des proies plus faciles »

À peine dix semaines après le début de l’expérience, les chercheurs ont réussi à mettre en évidence une dégradation nette de l’état de santé des perdrix consommant des aliments non biologiques, avec des dérèglements physiologiques et comportementaux. « En période de reproduction, une tâche colorée apparait sur la joue des individus mâles. Plus elle est colorée, plus l’oiseau est en bonne santé. Or, nous avons observé qu’elle était de couleur moins intense chez les oiseaux nourris avec des graines issues de l’agriculture conventionnelle », explique Jérôme Moreau, chercheur à l’université de Bourgogne et premier auteur de l’étude. Chez les individus femelles, les pesticides tendent à dérégler le stockage du gras. « Les pesticides pourraient donc être une cause potentielle d’obésité chez l’humain. »

La nourriture a également des conséquences sur la reproduction des perdrix. Dans les volières, les mâles sont actifs plus longtemps : « On peut imaginer qu’à cause de la tâche de la joue peu colorée, les mâles ont plus de mal à séduire les femelles. » Les femelles nourries avec des graines issues de l’agriculture conventionnelles, elles, pondent moins. Et selon l’étude, leurs œufs sont en moyenne 10 % plus petits que ceux des femelles nourries avec du bio. « C’est très important car la taille de l’œuf prédit celle du poussin à la naissance et son taux de survie à l’envol », précise Vincent Bretagnolle.

« Les pesticides pourraient être une cause potentielle d’obésité chez l’humain. »

L’ingestion de graines présentant des résidus de pesticides affaiblit enfin les défenses immunitaires des perdrix, expliquent les chercheurs. « Le taux d’hématocrite [soit le volume occupé par les globules rouges dans le sang par rapport au volume total de sang] des perdrix diminue, elles développent ainsi une sensibilité accrue aux pathogènes. En réduisant les défenses immunitaires, les pesticides rendent aussi indirectement les oiseaux moins armés face aux prédateurs. Moins vifs, ils ont plus de mal à prendre leur envol et deviennent des proies plus faciles. »

95 % des perdrix grises disparues dans les Deux-Sèvres depuis 1994

À long terme, une exposition chronique à des doses faibles peut avoir des effets tout aussi dévastateurs sur la survie des individus. Selon l’étude, les perturbations engendrées par les pesticides expliquent en partie la disparition des perdrix du paysage agricole : « Depuis 1994, la population de perdrix grises a baissé de 95 % dans le sud du département des Deux-Sèvres, sur notre zone d’étude. L’espèce est aujourd’hui menacée en France, regrette Vincent Bretagnolle. Nous avons donc cherché à comprendre pourquoi nous perdons des oiseaux. »

Les deux chercheurs regrettent le manque d’analyse des conséquences à long terme en condition naturelle des pesticides avant leur commercialisation. « Les parcelles d’agriculture conventionnelles participent à la perte de biodiversité. Le développement du bio, au contraire, redéveloppe la biodiversité et pourrait sauver les agrosystèmes », conclut Jérôme Moreau.