Plus de 90 % des poussins de fous de Bassan ont été retrouvés morts dans leur unique colonie française, sur l’île Rouzic – © Didier Flury/Reporterre
La grippe aviaire a décimé des populations d’oiseaux sauvages en 2022, en plus d’avoir provoqué des millions d’abattages dans les élevages. Une catastrophe qui doit amener à remettre en cause l’élevage intensif, selon la LPO.
Une catastrophe sans précédent pour les oiseaux sauvages. C’est le bilan que fait la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) des conséquences de la grippe aviaire sur la saison 2021-2022. « Cette année est la pire depuis son apparition en 1995 », s’est alarmé son président, Allain Bougrain-Dubourg, lors d’une conférence de presse vendredi 6 janvier.
L’association relève que non seulement 140 millions de volailles d’élevages ont été abattues dans le monde à cause de ce virus cette année (contre « seulement » 10 millions lors de la saison 2019-2020), mais qu’en plus, il a touché d’importantes colonies d’oiseaux sauvages. « Par exemple au Pérou, plus de 22 000 oiseaux marins, en majorité des pélicans, ont été retrouvés morts », a rappelé M. Bougrain-Dubourg.
De nombreuses mouettes sont mortes de la grippe aviaire en 2022. CC BY-SA 3.0 / Tristan Nitot / Wikimedia Commons
Les oiseaux de mer sont particulièrement touchés. Ainsi, en France, « des mortalités groupées d’oiseaux ont été constatées à partir de mai 2022 d’abord dans les départements côtiers des Hauts-de-France (Nord, Pas-de-Calais, Somme) essentiellement chez les laridés (goélands, mouettes et sternes).
Des cas sont ensuite apparus courant juin sur les côtes normandes (Seine-Maritime, Calvados, Manche) puis en juillet sur les côtes bretonnes (Côtes d’Armor) », détaille la LPO.
Des reproductions fortement affectées
À noter que les premiers cas ont été détectés au printemps, à un moment où d’habitude le virus circule beaucoup moins. Ainsi, la France venait de repasser en risque « modéré » pour la grippe aviaire quand en mai des vautours fauves malades ont été repérés. « On a constaté une contamination dans les grands causses, dans l’Aveyron », détaille Cédric Marteau, directeur du pôle protection de la nature à la LPO.
C’est la première fois que la maladie est repérée chez cette espèce. Sa reproduction en a été fortement affectée. Selon les chiffres de l’association, en 2021, sur 821 pontes, 75 % des poussins avaient pris leur envol. En 2022, malgré un nombre de pontes en hausse à 905, seulement 31 % ont pu sortir du nid. Un coup dur pour ce vautour qui avait failli disparaître en France, protégé depuis les années 80. Sa population augmentait jusqu’ici chaque année, expliquent les Parcs nationaux.
« C’est 50 ans de conservation qui pourraient être mis à mal en une seule année »
Puis début juillet, les premiers cas d’influenza aviaire sont apparus dans l’unique colonie française de fous de Bassans située sur l’île Rouzic, dans la réserve des Sept-îles, au large des Côtes-d’Armor. Les 19 000 couples qui s’y retrouvent pour nicher représentent 4 % de la population mondiale de l’espèce. « Des milliers d’oiseaux ont été retrouvés morts, et, notamment, plus de 90 % des poussins », se désespère Cédric Marteau. « Ces oiseaux marins ont une dynamique lente, on va repartir sur les effectifs des années 70, c’est 50 ans de conservation qui pourraient être mis à mal en une seule année. »
Dans ce contexte, la LPO sonne l’alerte et estime que les oiseaux sauvages sont victimes de l’élevage intensif. « On a vu en Asie des échanges entre la faune sauvage et les élevages, et c’est dans l’un de ces derniers qu’est apparue une souche hautement pathogène », assure François Moutou, vétérinaire épidémiologiste et membre du conseil scientifique de la LPO. Les élevages concentrant plus d’animaux, le virus y évolue plus rapidement.
La grippe aviaire a été détectée pour la première fois chez des vautours fauves. CC BY-SA 2.0 / Damien Pobel / Flickr via Wikimedia Commons
L’association s’inquiète aussi de la doctrine dominante, qui consiste à considérer que la faune sauvage est le problème car elle transporte le virus lors des migrations et contamine les élevages. « Il est en fait très difficile de conclure », estime François Moutou. « Bien sûr que les animaux sauvages libèrent le virus dans l’environnement », poursuit-il. « Mais après, il faut expliquer comment la souche entre dans l’élevage. »
Pour le docteur, il ne faut pas oublier le rôle majeur des échanges humains dans la propagation du virus. Les travaux de l’Anses ont d’ailleurs montré comment les circulations des animaux entre élevages, les livraisons de paille ou de nourriture, pouvaient propager le virus. « Le problème, c’est surtout d’éviter que le virus entre dans les élevages », estime le vétérinaire.
Ainsi, tant pour protéger la faune sauvage que pour sauver l’élevage, l’association demande « des solutions pérennes », a expliqué Allain Bougrain-Dubourg. « Nous considérons qu’il est indispensable revoir les modèles de production avicoles. »
Diminuer le nombre et la taille des élevages
Elle ne se satisfait pas des mesures du gouvernement, qui demande notamment aux éleveurs de rentrer leurs volailles de plus en plus souvent, un vrai problème pour les productions de plein air.
La LPO souhaite des élevages plus petits et moins nombreux afin de réduire leur densité, en circuit court pour limiter les échanges internationaux, propose de privilégier les races locales plus résistantes au virus, de maintenir une diversité génétique qui permet aussi une meilleure résistance, ou encore de ne pas stigmatiser le plein air, qui permet notamment de donner plus d’espace aux animaux et de limiter leur stress qui les rend plus vulnérables.