Le changement climatique perturbe les accouplements, les oisillons et les parades nuptiales de nombreuses espèces d’oiseaux, mettant en danger l’avenir de leurs populations.
Les beaux jours sont là, et avec eux, la saison des amours. En lisière des champs, les faisans paradent. Phragmite des joncs, rousserolles effarvattes et grives musiciennes chantonnent, tandis que les rouges-gorges préparent des offrandes de chenilles pour leurs compagnes. Dans les jardins chauffés par le soleil, les mésanges bleues picorent la mousse qui tapissera leurs nids. Partout, les œufs éclosent et les forêts gazouillent. Mais sous le vernis pastoral, le chaos climatique gronde. Formation des couples, investissement des parents, survie des oisillons… Ces processus sont mis en péril par le réchauffement des températures, au risque de réduire les populations de nos compagnons à plume.
On compte plus de 9 000 espèces d’oiseaux à travers le monde. Impossible, donc, de faire des généralités sur la manière dont le changement climatique affecte leurs amours. « Il y a des gagnants et des perdants, comme dans tout. Ce n’est pas uniforme », insiste Yan Ropert-Coudert, directeur de recherche en écologie marine au CNRS.
Dans un article publié en 2020, une équipe de chercheurs suédois conclut cependant, à partir d’une analyse minutieuse de la littérature scientifique existante, que l’augmentation des températures a une incidence négative sur la reproduction d’un grand nombre d’entre eux, à la fois dans les régions chaudes et tempérées. Ses effets peuvent se faire ressentir avant même l’accouplement.
Plus les températures montent, moins les outardes canepetières mâles paradent. CC BY-SA 4.0 / Yabanınizinde / WikimediaCommons
Exemple avec l’outarde canepetière (Tetrax tetrax), une espèce au bord de l’extinction dans les plaines céréalières du centre de la France. Au printemps, les mâles séduisent les femelles en gonflant leurs cous garnis de plumes nuptiales. Ils émettent à cette occasion des petits cris brefs et secs. Toute cette mise en scène leur demande beaucoup d’énergie, difficile à fournir par temps caniculaire. Une équipe de scientifiques a étudié des populations d’outarde de la péninsule ibérique pendant deux saisons de reproduction consécutives, en 2014 et 2015. Résultat : plus le thermomètre monte, moins les mâles paradent.
Si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent au rythme actuel, les chercheurs estiment que leur activité sexuelle pourrait décliner de 10 % d’ici à 2100. Couplé à la destruction de leur habitat, ce phénomène pourrait causer des extinctions locales ou régionales, avertissent-ils.
Un calao leucomèle dans la réserve de Sabi Sand, en Afrique du Sud. CC BY-SA 2.5 / Luca Galuzzi – www.galuzzi.it via WikimediaCommons
La chaleur excessive décourage d’autres espèces à s’accoupler. C’est le cas du calao leucomèle (Tockus leucomelas), un oiseau vivant dans la savane aride d’Afrique australe. Ce cousin du personnage de Zazu, dans Le Roi Lion, se reconnaît à son long bec jaune et courbé. Nicholas Pattinson, doctorant en ornithologie à l’Université du Cap, s’est penché sur les effets du changement climatique sur sa reproduction. Son équipe a étudié une population vivant dans le sud du désert de Kalahari, en Afrique du Sud. Leurs résultats ont été publiés en mai dans la revue Frontiers in Ecology and Evolution. Ils montrent que le taux de reproduction de ces oiseaux s’est effondré avec la hausse de la température de l’air, « en l’espace de seulement une décennie », souligne Nicholas Pattinson. En moyenne, les nids ne comptaient que 0,4 oisillons vivants à la fin de la saison de reproduction entre 2016 et 2019, contre 1,1 entre 2008 et 2011.
La raison : la reproduction demande un investissement « massif » aux calaos leucomèles. Les femelles s’enferment dans des cavités pendant cinquante jours pour pondre et s’occuper de leurs couvées. Durant cette période, elles dépendent entièrement des mâles pour se nourrir, et peuvent perdre jusqu’à 40 % de leur masse corporelle. Lorsque les conditions environnementales sont trop difficiles, se reproduire devient trop risqué pour ces oiseaux monogames. Impossible de décaler leur accouplement de quelques semaines : celui-ci ne peut avoir lieu que durant la saison des pluies, qui est aussi la plus chaude. Ils peuvent alors être tentés de remettre leur reproduction à l’année suivante.
Certains oiseaux, comme ces cratéropes bicolores, sont poussés à privilégier leur propre survie au détriment de celle de leur progéniture. CC BY 2.0 / [Derek Keats / Flickr via WikimediaCommons->
Il arrive également que les parents souffrent trop de la chaleur pour s’occuper convenablement de leur progéniture. « Leur recherche de nourriture est moins fructueuse, raconte Nicholas Pattinson à Reporterre. Les oisillons ont moins à manger, et moins d’eau pour dissiper la chaleur. Ils peuvent mourir, ou avoir du mal à grandir. S’ils parviennent à s’envoler, c’est dans des conditions tellement déplorables qu’ils ne survivent pas. »
Aucune tentative de reproduction réussie n’a été observée par les chercheurs au-dessus de 37.5 °C. Selon leurs estimations, cette température sera dépassée durant toute la saison de reproduction des calaos leucomèles dès 2027, entraînant un déclin massif et rapide des populations du Kalahari. « Ce n’est pas parce que l’on ne voit pas des oiseaux tomber du ciel qu’ils ne souffrent pas du changement climatique », rappelle Nicholas Pattinson. Ces effets, plus discrets, sont tout aussi dramatiques.
Chaleur mortelle
Des dynamiques similaires ont été observés chez d’autres espèces. En Australie, une équipe de chercheurs a étudié le comportement parental du miro enchanteur (Microeca fascinans), un petit passereau au plumage couleur sable. Lorsque les températures grimpent, ces oiseaux s’acharnent à faire de l’ombre à leurs œufs en étendant leurs ailes. Mais cet exercice requiert beaucoup d’énergie. Afin d’éviter l’hyperthermie, les femelles halètent, ce qui abîme leurs reins, leurs foies et leurs poumons, et augmente le risque de déshydratation.
Après avoir passé la quasi-totalité du jour à faire de l’ombre à leurs œufs, l’un des couples de miros enchanteurs observés par les scientifiques a succombé au manque d’eau. Malgré tous les efforts déployés, la totalité des embryons sont morts lorsque la température a dépassé 42.5 °C. Les parents ont malgré tout continué à les couver pendant plusieurs semaines. Cela suggère, selon l’équipe de chercheurs, que la perte d’œufs à cause de la chaleur est un phénomène « récent » pour cette espèce.
Un miro enchanteur en train de nicher. CC BY-NC 3.0 / Fir0002/Flagstaffotos / WikimediaCommons
Il arrive que les oiseaux priorisent leur survie à celle de leur progéniture. Une étude, publiée en 2021 dans la revue Conservation Physiology, a mis en lumière ce comportement chez le cratérope bicolore (Turdoides bicolor) : lorsque les températures montent, ce passereau des savanes sèches s’éloigne de son nid pour se rafraîchir. Les œufs laissés à l’abandon ont davantage de chance de surchauffer, et donc de mourir. Si le réchauffement climatique continue de s’intensifier, écrivent les auteurs, ces pratiques pourraient devenir plus communes, mettant en péril la survie des populations.
« Ces températures dépassent ce qu’ils tolèrent »
Les oiseaux vivant dans des régions chaudes ne sont pas les seuls concernés. Dans les zones tempérées, « il arrive que des oiseaux souffrent de stress thermique à 16 °C, simplement parce que ces températures dépassent ce qu’ils tolèrent normalement », précise Nicholas Pattinson.
Sous le soixantième parallèle, les vagues de chaleur se multiplient aussi. En mars dernier, par exemple, des températures jusqu’à 40 °C supérieures aux normales de saison ont été enregistrées en Antarctique. « Il m’est arrivé de voir des manchots Adélie (Pygoscelis adeliae) haletants, qui n’arrivaient pas à se débarrasser de la chaleur, se rappelle Yan Ropert-Coudert. Ils n’en meurent pas, ils vont en mer pour se rafraîchir, mais ils pourraient abandonner la reproduction pour ne pas se retrouver dans une situation inconfortable. »
Avec la hausse du niveau des océans, les voyages rallongés des manchots royaux deviennent une source de péril pour l’alimentation des jeunes. CC BY 2.0 / Ben Tubby / Flickr via WikimediaCommons
Certaines espèces, comme les manchots empereurs (Aptenodytes forsteri), voient la glace sur laquelle ils se reproduisent fondre à vue d’œil. Nourrir ses poussins peut également devenir plus compliqué. Le volume de l’océan augmente avec le réchauffement des températures (un peu comme lorsque l’eau d’une casserole bout). « À cause de cela, les trajets des manchots royaux de l’île de Crozet vers le front polaire où ils se nourrissent deviennent de plus en plus longs, raconte Yan Ropert-Coudert. Cela veut dire qu’ils laissent leurs poussins plus longtemps sans apport de nourriture. Ils peuvent ne pas survivre à ce jeûne forcé, ou être trop faible pour avoir une masse corporelle suffisante au moment où leurs parents arrêtent de les nourrir. »
Les albatros à sourcils noirs (Thalassarche melanophris) doivent eux aussi s’aventurer plus loin pour trouver de la nourriture. Selon une étude publiée en novembre, le stress induit augmenterait le nombre de « divorces » chez ces oiseaux habituellement très fidèles. Ces menaces, qui s’ajoutent à la surpêche et à la pollution des océans, compliquent le renouvellement des populations.