Fin des PFAS

Avec l’interdiction des polluants éternels, les entreprises du textile et de l’habillement devront utiliser d’autres méthodes pour rendre leurs produits imperméables. Certaines ont anticipé. D’autres s’inquiètent.

Gros bouleversement en perspective pour le secteur du textile : à partir du 1er janvier 2026, les vêtements et chaussures ne pourront plus contenir de substances perfluorées (PFAS), ces polluants qui ne se dégradent pas. C’est ce que prévoit le texte adopté de façon définitive le 20 février par les députés. Cette interdiction sera ensuite étendue à tous les textiles à partir du 1er janvier 2030. Or, les industriels ont massivement recours aux PFAS en raison de leurs propriétés préservant de l’eau, respirantes ou encore ignifuges (ininflammables).

Parkas de ski déperlantes, vestes de rando imperméables, chaussures étanches, nappes antitaches… Ces produits résistent à l’eau, aux salissures et aux matières grasses grâce à l’apprêt déperlant appliqué sur leur revêtement extérieur et/ou à leur membrane laminée, constituée de plusieurs couches de tissus. Dans les deux cas, des molécules de fluor sont ajoutées pour permettre aux gouttes de glisser et au tissu de rester respirant.

Des marques ont planché très tôt pour éliminer ces PFAS. « Cela n’a pas été une mince affaire », reconnaît Patagonia sur son site. Précurseur, l’équipementier sportif a lancé sa première gamme avec « apprêts déperlants durables » (DWR) sans ajout de fluor en 2019. « Nos produits sont généralement à base d’hydrocarbures (pensez aux polymères et aux cires) ou de silicones », explique-t-il à Reporterre [1]. Il assure que plus aucun de ses vêtements ne sera traité avec des PFAS à partir de ce printemps. Concernant les membranes, l’entreprise s’est associée à Gore-Tex, fabricant historique, afin de mettre au point une nouvelle technologie, en polyéthylène expansé.

Concurrence étrangère

Interrogé par Reporterre, Decathlon assure lui aussi travailler sur des alternatives depuis plus de dix ans et avoir conçu « de nouvelles solutions déperlantes performantes ». Sans donner plus d’explications sur les techniques choisies. Le géant français déclare « accueillir favorablement » la nouvelle loi, tout en soulignant l’importance de « laisser le temps nécessaire » aux entreprises et à l’industrie de s’adapter. Une manière de dire que 2026 serait une échéance trop proche ?

Si les grandes marques ont pris les devants, un grand nombre de petites ou moyennes entreprises risquent en effet de ne pas être prêtes. Quand on lui demande quelles alternatives elle envisage pour ses nappes colorées et enduites, Laurence Le Crocq laisse échapper un rire légèrement nerveux : « C’est une bonne question ! » La fondatrice de Fleur de soleil, société qui conçoit depuis une vingtaine d’années des nappes made in France, n’a pas la réponse. « On utilise très peu de résine perfluorée dans nos produits, mais celle-ci reste indispensable pour que les nappes soient antitaches. » Or, la société d’imprimerie textile avec laquelle elle travaille dans les Vosges n’a pour l’heure pas de solution de remplacement à lui proposer.

L’interdiction pour les textiles tels que les nappes n’entrera en vigueur qu’en 2030, ce qui laisse une bonne marge pour trouver une nouvelle technologie. Laurence Le Crocq s’inquiète cependant de la concurrence étrangère : « Est-ce qu’on va aussi interdire les produits importés fabriqués avec des résines perfluorées ? Nous sommes peu nombreux à fabriquer en France. Ce serait un comble qu’on soit obligé de faire fabriquer à l’étranger ! »

La nouvelle loi interdit bien toute importation de produits avec PFAS. « Ce seront les agents de l’État (DGCCRF) qui seront chargés d’effectuer les contrôles et d’appliquer les sanctions dédiées », nous précise par courriel Nicolas Thierry, député écologiste à l’initiative de la nouvelle loi. Il cite l’exemple du bisphénol A, d’abord interdit en France en 2015 avant de l’être en Europe. Dans l’entre-deux, l’administration a veillé sur le marché et réalisé des contrôles.

Feuilles de lotus

Les entreprises peuvent se faire accompagner par l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH) pour trouver des alternatives. Sont ainsi expérimentés « des revêtements hydrophobes à base de silicone ou de nanomatériaux, des cires et des huiles naturelles ou encore des polymères biodégradables », détaille l’IFTH, qui participe à plusieurs projets de recherche collaborative, tels que Deperflex II, récemment terminé.

Dans ce projet, les chercheurs se sont inspirés de la structure des feuilles de lotus, qui ont la capacité à repousser l’eau grâce à des micro et nanostructures sur leur surface. « En reproduisant cette structure sur des textiles, il est possible de créer des surfaces hydrophobes sans utiliser de PFAS », explique l’Institut. D’autres techniques sont testées pour modifier la surface des textiles : le traitement au laser pour créer des microstructures, le greffage fonctionnel par plasma qui modifie chimiquement la surface du tissu.

Outre la question de la propre innocuité de ces nouvelles techniques — qui reste à démontrer — se pose aussi celle de leur efficacité. « Aujourd’hui, les alternatives sur les vêtements de sport se révèlent un peu moins performantes dans le temps, constate Laurent Cogez, directeur d’Alpex, un des principaux fabricants français de tissus et membranes déperlantes. La déperlance s’estompe au bout de 7 ou 8 lavages contre une dizaine avec les perfluorés. Ce qui impose de prendre plus soin de son vêtement, de le retraiter plus souvent ou de réactiver sa déperlance. Mais peut-être que c’est l’effort à faire pour aider à la transition écologique. »