Générations futures a annoncé le 11 décembre saisir le tribunal de l’Union européenne. – Pexels/CC/Mark Stebnicki
Comme le glyphosate, de nombreux herbicides voient leur autorisation prolongée dans l’Union européenne. Et ce, en toute discrétion. Une association a donc saisi la justice.
La réautorisation du glyphosate pour dix ans en novembre a fait grand bruit. Mais d’autres pesticides reconnus dangereux par l’Union européenne peuvent continuer d’être utilisés bien plus facilement et plus discrètement.
Avant que leur réautorisation ne soit soumise au vote des États, les pesticides doivent subir un long processus d’évaluation. Et tant qu’ils n’ont pas été au terme de ce processus, la Commission européenne peut prolonger l’autorisation, sans aucun contrôle de leurs effets sur l’environnement ou la santé.
Ces prolongations sont en fait monnaie courante. Ainsi, certains pesticides, parmi les plus dangereux, peuvent voir leur utilisation prolongée pendant plus de dix ans. Cela constitue un scandale, selon l’association Générations futures, qui a annoncé le 11 décembre saisir le tribunal de l’Union européenne.
Des herbicides contestés
Pour ses recours, l’association a sélectionné cinq substances auxquelles les Français sont particulièrement exposés. « Elles font partie des vingt substances les plus utilisées au niveau national », assure François Veillerette, porte-parole de Générations futures.
Elle s’est aussi concentrée sur les substances considérées comme cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques, et sur celles dites « candidates à la substitution ». C’est-à-dire des molécules pour lesquelles le risque est considéré inacceptable par l’Efsa, l’agence de sécurité sanitaire européenne, pour la santé, l’environnement ou les eaux souterraines, pour au moins l’un des usages.
« Le processus d’évaluation des pesticides manque de transparence »
Par exemple, le S-Métolachlore est un herbicide utilisé sur le maïs et le tournesol. En 2005, il avait été autorisé pour dix ans. En 2014, Syngenta a donc déposé un dossier afin de demander le renouvellement de son autorisation. La Commission européenne doit normalement étudier ces dossiers en moins de trois ans. Mais elle est très fréquemment en retard.
Ainsi, au bout de dix ans, le processus de réévaluation de cet herbicide vient à peine de se terminer. Il n’a pas été réautorisé, puisqu’il est suspecté d’être cancérogène, et présente un « risque inacceptable de contamination des eaux souterraines », rappelle Générations futures. En attendant, malgré ces dangers, il a bénéficié de pas moins de huit prolongations de son autorisation, et obtenu en tout dix ans de délai.
Le prosulfocarbe, lui, est le second herbicide le plus utilisé en France, après le glyphosate. Il est notamment utilisé sur les cultures de céréales. Et lui aussi bénéficie de la nonchalance de la Commission européenne. Selon Générations futures, il était autorisé jusqu’en 2018. Depuis, il a eu droit à six prolongations lui accordant huit ans de tranquillité supplémentaires, jusqu’en 2027, sans la moindre formalité.
Syngenta a déposé un dossier de demande de renouvellement en 2015. Depuis, pas de nouvelle de l’évaluation des risques, toujours en cours. Pourtant, l’herbicide est très contesté, notamment parce qu’il est extrêmement volatil et contamine les champs bios.
Cancérigène, reprotoxique…
Générations futures s’est également intéressée au cas du tébuconazole. Ce fongicide permet de lutter contre les maladies sur les céréales ou la vigne. Son autorisation pour dix ans a expiré en 2019. Depuis, il a eu droit à cinq prolongations pour une durée de sept ans, la dernière court jusqu’en 2026. Selon Générations futures, cette substance aussi devrait être interdite dans l’Union européenne en raison de sa toxicité pour la reproduction.
Autre joli nom, le chlorotoluron a vu son autorisation expirer en 2016. Les huit prolongations décidées par la Commission européenne permettent de l’utiliser dans l’Union jusqu’en 2026. Pourtant ce pesticide est considéré comme « candidat à la substitution » depuis… 2015. « Il est classé par l’Echa [Agence européenne des produits chimiques] comme suspecté cancérigène (catégorie 2) et reprotoxique (catégorie 2) et est très persistant dans l’eau et les sols », écrit Générations futures dans son rapport.
Le flufenacet est par exemple utilisé sur le blé. Pexels/CC/André Ulysses De Salis
Enfin, le flufenacet détient le record de la prolongation avec 11 ans et 6 mois. Son autorisation a expiré en 2013, mais la Commission l’a prolongée jusqu’en 2025, là encore sans se soucier du fait qu’elle est « candidate à la substitution » depuis 2015, soit huit ans !
Cet herbicide est utilisé sur le blé, l’orge ou les pommes de terre. Son usage « est responsable d’une contamination très importante des eaux souterraines » et il est « extrêmement persistant dans les sols » et « très toxique pour les organismes aquatiques », souligne Générations futures. Il fait d’ailleurs partie de la dangereuse famille des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS).
Soupçons sur les industriels
Pour François Veillerette, on a là « un détournement du système d’autorisation ». « Ces prolongations viennent se substituer aux décisions de renouvellement, constate maître Hermine Baron, avocate de l’association. C’est une violation du principe de précaution, car cela aboutit à laisser sur le marché des substances actives dont la toxicité n’a pas été réévaluée. »
Savoir où en est le processus d’évaluation d’une substance, pourquoi il dure bien plus longtemps que les trois années prévues en temps normal, quelles études ont été fournies par l’industriel qui demande la réautorisation, est une affaire compliquée. « Le processus d’évaluation des pesticides manque de transparence », estime Me Baron.
Générations futures en arrive à soupçonner que les industriels font volontairement durer le processus. « Les industriels savent dès le départ quelles études seront nécessaires pour compléter le dossier. Ils attendent qu’elles soient demandées, et les fournissent au dernier moment », avance Pauline Cervan, toxicologue chez Générations futures.
Ces recours sont une première, car la possibilité juridique n’en est ouverte aux associations que depuis 2021. L’association compte en lancer de nouveaux, contre les prolongations d’autres pesticides, dès 2024.