Les marmottes, ces petits rongeurs symboles des Alpes, sont encore bien nombreuses à gambader dans les montagnes. Mais le tourisme et le climat pourraient impacter leur survie, voire entraîner leur disparition.
Elles ne sont pas farouches, ces marmottes. On dirait même qu’elles s’amusent à prendre la pose, alanguies sur un gros rocher devant lequel s’agglutinent les touristes armés de leurs smartphones. « On appelle ce spot “l’office du tourisme”, car elles sont toujours ici, quelle que soit l’heure de la journée », sourit Monique Constant, la présidente de l’association des Marmottes d’Eygliers Mont-Dauphin, dans les Hautes-Alpes.
Depuis le parking, construit au bord de la route nationale N94 reliant Gap à Briançon dans les Alpes, il faut à peine dix minutes pour grimper dans cette prairie, au pied des remparts Vauban de la place forte de Mont-Dauphin. Cela fait une cinquantaine d’années que plusieurs familles se sont installées ici. Entre 35 et 40 individus bien dodus vivent dans ce site classé Natura 2000, perché à 900 mètres de hauteur.
En cette fin d’après-midi, alors que le soleil est encore brûlant, quelques marmottes furètent entre les touffes à la recherche de leur dîner. Elles doivent ingurgiter jusqu’à 400 grammes d’herbe par jour, soit environ 70 kilos de végétation consommés entre juillet et octobre. De quoi remplir leurs réserves de graisse avant l’hibernation. « Aujourd’hui, on dirait qu’elles n’ont pas trop faim. Ce matin, on a croisé une personne qui les a gavées de pissenlits, raconte Annette Lebreton, secrétaire de l’association également membre de la Ligue pour la protection des oiseaux de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca). On ne peut pas trop râler, mais si elles n’ont pas de régime assez varié pour faire de la graisse pour l’hiver, ce n’est pas bon pour elles. »
Annette Lebreton et Monique Constant de l’association Les Marmottes d’Eygliers Mont-Dauphin, devant l’entrée du sentier qui mène à la prairie des marmottes. © Laury-Anne Cholez/Reporterre
Des marmottes victimes de leur succès
Avec le temps et le bouche-à-oreille, le site très facile d’accès est devenu un véritable hot spot touristique local, mentionné sur les brochures de la ville de Mont-Dauphin et recensé sur Tripadvisor. Il est même intégré au circuit de tour-opérateurs étrangers, dont les touristes débarquent en bus pour une balade éclair.
Des panneaux incitent les touristes à ne pas nourrir les marmottes. © Laury-Anne Cholez/Reporterre
Face à l’affluence — environ 20 000 personnes par an —, les membres de l’association tentent de sensibiliser les visiteurs au respect de ces paisibles animaux, avec des actions ludiques et des petits déjeuners découverte. Mais ils doivent surtout passer du temps sur place pour surveiller. Pauline Majorel, la stagiaire de l’association, se souvient de touristes qui avaient amadoué un marmotton et l’avaient attaché avec un harnais pour chats. « Je leur ai demandé de laisser le bébé tranquille et j’ai menacé d’appeler la police. Ils sont finalement partis », explique la jeune fille.
Si les marmottes du site restent des animaux sauvages, elles n’ont plus du tout peur des humains. « Il y a une possible perte d’instinct, elles ne sifflent plus lorsqu’elles voient des chiens arriver alors que ce sont des prédateurs. C’est un problème avec les patous, qui sont de véritables chasseurs de marmottes », remarque Annette Lebreton.
Le manque de neige tue
Ces chiens de bergers sont pourtant loin d’être la plus grave menace sur l’avenir des marmottes par rapport au réchauffement climatique. À 60 kilomètres de Mont-Dauphin, au col du Lautaret bien connu des fans du tour de France, la chercheuse Aurélie Cohas mène depuis 2018 une étude sur les conséquences du réchauffement climatique sur ces petits rongeurs.
Le déclin des marmottes inexorable. Pixabay/CC/Pacote66
Ses résultats sont sans appel : si les températures continuent à monter aussi vite, la mascotte des Alpes pourrait disparaître. En effet, en hiver, la neige fait office d’édredon, recouvrant leur terrier pour maintenir une bonne température. Si la couche est trop fine, les marmottes peuvent mourir de froid. « Dès que la température descend en dessous de 4 °C, elles vont consommer trop d’énergie et mourir de dénutrition dans leur terrier. Elles ne vont pas ressortir au printemps d’après », déplore Aurélie Cohas.
Comme il fait trop froid dans les terriers, les marmottons survivent moins. Les individus adolescents, qui jouent d’ordinaire le rôle de baby-sitter, n’ont donc plus de raison de rester dans le nid et quittent leur famille. D’autant qu’avec les chaleurs précoces du printemps, la végétation nécessaire à leur croissance pousse plus tôt et rapidement. Ils grandissent plus vite et partent à la conquête de nouveaux territoires. Certains vont aller défier d’autres marmottes dominantes pour prendre leur place en les tuant, ainsi que leur progéniture. Tous ces phénomènes déstructurent les familles, d’ordinaire particulièrement stables. « Cette instabilité sociale bouleverse l’équilibre de l’espèce, impacte les taux de survie et de reproduction », poursuit Aurélie Colas.
L’association existe depuis une douzaine d’années. Elle tente de préserver cette colonie de marmottes. © Laury-Anne Cholez/Reporterre
La marmotte n’est pas encore considérée comme une espèce en danger. Mais Aurélie Colas estime que son déclin est inexorable si rien n’est fait pour protéger la biodiversité. Reste à savoir combien d’années nous pourrons encore admirer gambader ces mignons rongeurs dans nos montagnes.