Tous les deux ans, l’ONG analyse la perte de la biodiversité à l’échelle planétaire, afin de « poser les jalons d’actions à venir en fournissant des éléments de réflexion ».
France TélévisionsUne grenouille dans la Loire, à Ancenis (Loire-Atlantique), le 11 août 2020. (SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP)
Gorilles des plaines, lynx, requins, coraux… « Les icônes de la biodiversité, aussi précieuses qu’indispensables à l’équilibre de nos écosystèmes, diminuent à un rythme alarmant. » Le rapport « Planète vivante », publié tous les deux ans par le WWF, dresse un état des lieux de la biodiversité mondiale et de la santé de la planète. Dans la dernière édition, rendue publique jeudi 13 octobre, l’association s’inquiète d’une « baisse dévastatrice » des populations de vertébrés – poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles – à travers le monde.
Arguant que « les déclins d’abondance sont des indicateurs d’alerte précoce de la santé globale de l’écosystème », l’ONG appelle les gouvernements à adopter « un accord mondial ambitieux pour sauver les espèces sauvages », à l’occasion de la 15e Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP15), à Montréal, en décembre. Mais avant, voici ses conclusions.
69% des populations d’animaux vertébrés ont disparu entre 1970 et 2018
C’est un « chiffre alarmant », a commenté le directeur des programmes de l’ONG, Arnaud Gauffier, à l’occasion de la présentation du rapport à la presse, lundi : entre 1970 et 2018, les populations de vertébrés ont chuté de 69%. Dans son édition précédente, publiée en 2020, l’ONG chiffrait ce déclin moyen des populations – à travers son indice Planète vivante, ou « IPV » – à 68%, contre 50% en 2012. Cet indice, calculé à partir de données scientifiques collectées sur 32 000 populations de plus de 5 230 espèces de vertébrés, résume les variations de populations d’animaux suivis dans le monde. Plus il est élevé, plus l’espèce est menacée. Passer d’un IPV de 68% à 69% en deux ans, « c’est colossal », a remarqué Arnaud Gauffier. « Le fait que cet indice ne s’améliore pas est catastrophique en soi. »
Le rapport pointe des exemples d’espèces « en sursis », qui ont enregistré depuis 1970 un inquiétant déclin : la population du gorille des plaines orientales a chuté de 80%, celle des éléphants de forêt africains de 86%. Les coraux d’eau chaude ont perdu 50% de leur population, et les raies et requins océaniques sont en déclin de 71%, lit-on aussi dans le rapport.
Le réchauffement climatique menace de plus en plus la biodiversité
La destruction des habitats liée à la conversion de sols au profit de l’agriculture et de l’alimentation, la surexploitation des espèces et des ressources, les pollutions, l’introduction d’espèces étrangères invasives et le réchauffement climatique sont les principales menaces qui pèsent sur la biodiversité. Si le changement d’utilisation des terres demeure le principal facteur de perte de biodiversité, le réchauffement climatique joue un rôle de plus en plus important dans l’effondrement d’espèces de vertébrés, alerte le rapport.
« Si nous ne limitons pas le réchauffement à 1,5°C, le changement climatique deviendra sûrement la principale cause de perte de biodiversité au cours des prochaines décennies. »
WWF dans son rapport « Planète vivante » 2022
Crise climatique et effondrement de la biodiversité « constituent les deux faces d’une même pièce », assure encore le WWF. La hausse de la température globale moyenne, qui a augmenté de 1,2°C depuis le début de l’ère industrielle, entraîne déjà « des phénomènes de mortalité massive, ainsi que les premières extinctions d’espèces », explique le rapport, pour lequel « chaque degré supplémentaire devrait accroître ces pertes ».
En guise d’exemple, le document cite notamment les coraux d’eau chaude. Environ la moitié d’entre eux « ont disparu pour diverses raisons », explique le WWF, qui craint que le réchauffement climatique n’assène le coup de grâce. « Un réchauffement de 1,5°C entraînera une perte de 70 à 90% des coraux d’eau chaude et un réchauffement de 2°C entraînera une perte de plus de 99%. »
De même, en France, les tortues luth, présentes notamment dans le détroit du fleuve Maroni à la frontière entre la Guyane et le Suriname, ont vu leur population s’effondrer de 95%, sous les effets combinés de captures accidentelles liées à la pêche illégale et de la hausse des températures qui déséquilibre le ratio entre naissances de mâles et de femelles. Aussi, « si nous continuons d’aborder ces urgences comme deux problèmes distincts, aucune des deux ne sera traitée efficacement », martèle le rapport, qui pointe le rôle des écosystèmes dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Une tortue luth sur la plage de la réserve naturelle de l’Amana, en Guyane, en 2011. (JOBARD / COEUR DE NATURE / SIPA)
10 millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année
Les forêts et autres mangroves sont d’indispensables puits de carbone, détaille le WWF. « Chaque année, nous perdons environ 10 millions d’hectares de forêts, soit une superficie équivalente à celle du Portugal », alerte-t-il, soulignant l’interdépendance des crises du climat et de la nature, mise en lumière par un premier rapport conjoint du Giec et de l’Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES)* – souvent qualifié de « Giec de la biodiversité » – en 2021.
L’ONG pointe par ailleurs les bénéfices à agir de manière coordonnée sur ces deux fronts : « Les aires protégées et gérées par les communautés locales montrent une biodiversité florissante, la restauration des écosystèmes par les solutions fondées sur la nature est bénéfique pour la biodiversité et aussi pour le climat (…) », souligne-t-elle.
Dans ce contexte, le WWF juge « primordial de parvenir au même degré d’implication [dans la lutte contre l’effondrement de la biodiversité] que nous commençons à observer autour de l’action climatique » et promeut l’objectif d’un « bilan nature positif d’ici à 2030 ». Le but est d’inverser la courbe des populations d’ici à huit ans, afin de « retrouver des niveaux de biodiversité satisfaisants en 2050 », a résumé face à la presse la directrice générale de l’ONG, Véronique Andrieux, dressant le parallèle avec l’ambition « net zéro » exigée des acteurs du climat.
Les écosystèmes d’eau douce sont durement touchés
Les milieux d’eau douce, qui accueillent « une riche biodiversité, dont un tiers d’espèces de vertébrés », sont particulièrement concernés par cette dégradation, avec une baisse moyenne des populations établie à 83%, selon le WWF.
Pour expliquer cette situation, l’ONG cite entre autres les pollutions – comme les pesticides, les plastiques ou encore les rejets industriels et agricoles –, les prélèvements d’eau ou la modification des débits, la surexploitation des espèces, ainsi que l’introduction d’espèces envahissantes. « Les milieux d’eau douce étant fortement connectés, les menaces peuvent facilement se déplacer d’un endroit à l’autre », explique-t-elle dans ce rapport, qui rapporte que l’IPV des poissons d’eau douce migrateurs montre un déclin moyen de 76% entre 1970 et 2016.
« Seuls 37% des fleuves de plus de 1 000 km sont encore ‘naturels’ sur toute leur longueur », souligne le rapport, et les espèces d’eau douce, notamment les poissons migrateurs, se heurtent à « la présence de barrages et de réservoirs [qui constituent] une menace pour leur survie ». Grâce à la suppression de deux barrages et au réaménagement d’autres barrages dans une rivière du nord-est des Etats-Unis, les populations de gaspareaux, des harengs des rivières, ont pu se reconstituer, détaille le rapport. Ils sont passés « de quelques centaines à près de 2 millions en cinq ans, ce qui a permis la reprise de la pêche ».
L’Amérique latine est la région la plus affectée
Selon le WWF, la situation diverge grandement d’un écosystème à l’autre. Les menaces et leur intensité varient aussi en fonction des aires géographiques. « Les menaces liées à l’agriculture, à la chasse et à l’exploitation forestière sont principalement présentes dans les tropiques, tandis que les points chauds de la pollution prédominent en Europe« , explique-t-il. Cependant, c’est en Amérique latine-Caraïbes que l’abondance moyenne des populations connaît le plus grand déclin régional, avec un IPV de 94% entre 1970 et 2018, prévient l’ONG. Vient en seconde position l’Afrique (66%), suivie de l’Asie et du Pacifique (55%), de l’Amérique du Nord (20%) et enfin de l’Europe (18%).
En Amazonie, « les dernières recherches indiquent que nous nous approchons dangereusement d’un point de bascule au-delà duquel notre plus grande forêt tropicale humide ne fonctionnera plus », met en garde le rapport.
Cette photo aérienne montre une zone déboisée près de Sinop, dans l’État du Mato Grosso, au Brésil, le 7 août 2020. (FLORIAN PLAUCHEUR / AFP)