Les Nations unies ont adopté, le 19 juin, le premier traité de protection de la haute mer. Il s’agit d’une avancée importante pour préserver ces eaux menacées par les activités industrielles, selon Klaudija Cremers, de l’Iddri.
Klaudija Cremers est chercheuse en politique maritime internationale à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
Reporterre — Lundi 19 juin, les États membres des Nations unies ont adopté un traité pour protéger la haute mer — aussi appelée « eaux internationales » –, qui couvre plus de 60 % des océans et ne faisait jusqu’à présent l’objet d’aucune régulation. Y a-t-il de quoi se réjouir ?
Klaudija Cremers — C’est un traité historique, et une grande victoire pour la communauté environnementale et internationale. Ce texte permet aux États d’avoir un espace de coordination et de coopération. C’est essentiel pour s’assurer qu’on ne pense pas qu’aux activités économiques, et que l’on protège les espèces qui vivent dans ces eaux. Compte tenu de l’état du multilatéralisme, on peut vraiment être très contents de ce résultat.
Quelles dispositions contient ce texte ?
Le premier élément, c’est les ressources marines génétiques [c’est-à-dire le matériel génétique tiré des animaux, végétaux, champignons, virus et microbes des fonds océaniques, qui attirent la convoitise des industries pharmaceutiques et chimiques]. Le traité prévoit un système pour les partager. C’est un sujet clé pour les pays en développement, car pour le moment, c’est « premier arrivé, premier servi ». Il y aura maintenant des obligations pour partager les bénéfices monétaires et non monétaires de leur exploitation — par exemple les données obtenues pendant des missions.
Le texte prévoit également, pour la première fois, un processus pour créer des aires marines protégées en haute mer. C’est vraiment révolutionnaire. Les aires créées via ce traité seront reconnues par tous les pays membres des Nations Unies. C’est essentiel pour atteindre l’objectif de protection de 30 % des terres et des mers, qui a été défini en décembre dernier lors de la COP15 biodiversité. Il avait peu de chance d’être atteint seulement grâce aux aires marines protégées installées dans les eaux territoriales.
Le texte traite par ailleurs du renforcement des capacités et du partage des technologies marines. C’est très important, notamment pour les pays en développement : ça leur permettra d’atteindre leurs objectifs et de mettre en œuvre le traité. Certains pays, par exemple, disposent de technologies satellitaires. Quand on aura des aires marines protégées en haute mer, ils pourront partager ces technologies avec les pays en développement pour mieux contrôler ces zones.
L’accord définit également quand et à quel moment les entreprises devront réaliser des études environnementales avant de conduire une activité économique en haute mer. On est très contents que des règles soient définies, quand on pense à toutes les nouvelles activités qui risquent d’être développées dans les prochaines années. La Chine, par exemple, a très envie de développer l’aquaculture en haute mer.
Cette partie du texte est sûrement la moins ambitieuse. Ce sont les États qui seront en charge de décider si les entreprises ont bien rempli leurs obligations et qui donneront l’accord final. Beaucoup d’acteurs environnementaux estiment qu’un organisme indépendant aurait été préférable.
Identifiez-vous d’autres lacunes ?
Une chose n’a pas été très étudiée pendant les négociations : on a maintenant un processus pour créer des aires marines protégées, mais on n’a pas déterminé comment les contrôler, les financer et les surveiller. Le texte requiert des États qu’ils soumettent un plan de gestion lorsqu’ils proposent de créer une aire marine protégée, mais ce n’est pas très précis. C’est quelque chose qui devra absolument être abordé lors de la prochaine conférence des parties (COP), afin que ces aires marines protégées soient vraiment efficaces, et pas seulement des « aires de papier ».
Des chalutiers géants ont pêché pendant près de 3 000 heures au sein d’aires marines protégées, en 2019 au Royaume-Uni. Greenpeace
Certaines associations, comme Bloom, déplorent que le texte ne prévoie rien en ce qui concerne la pêche industrielle, qui est pourtant l’une des principales responsables de la destruction de la biodiversité marine. Le texte ne contient rien, non plus, sur l’exploitation des fonds marins…
Les États ont choisi en 2017 les sujets qu’ils aimeraient aborder dans le cadre de ce traité. Dès le début, il était exclu d’évoquer la pêche et les fonds marins, car d’autres institutions les gèrent. Un des principes de l’accord, c’est qu’il ne peut pas porter préjudice aux organisations existantes.
Quelles sont les prochaines étapes avant l’entrée en vigueur définitive du texte ?
On doit encore avoir un processus de signature, en septembre. La ratification, ensuite, dépendra du processus législatif de chaque pays, qui peuvent avoir besoin de l’approbation de leurs parlements. On a besoin de soixante ratifications pour que le texte entre en vigueur. On s’attend à ce que cela soit atteint bientôt, car plus de cinquante pays font déjà partie d’une « coalition de haute ambition ».
Certains États se sont-ils montrés réticents ?
La Russie a dit qu’elle n’était pas satisfaite du résultat. Il est peu probable qu’elle signe l’accord. Mais aucun autre État ne s’est exprimé contre le traité.
Les États qui ne signeront pas devront-ils malgré tout se soumettre à ces nouvelles règles ?
Dans le droit international public et le droit de la mer, il y a parfois ce que l’on appelle le « droit de coutume » : après un certain temps, certaines obligations deviennent coutumières. Peut-être qu’après un petit moment, certaines obligations du traité de protection de la haute mer auront ce statut. Même les États qui ne feront pas partie du traité pourraient alors être appelés à le respecter.
Il est vrai que, pour le moment, seuls les États qui auront vraiment signé ou ratifié le traité auront des obligations. Dans ce contexte, il est très important que certains pays, comme la Chine, signent ce traité. Elle est très active en haute mer, et dispose de la plus grande flotte hauturière du monde. Si elle le ratifie, cela pourrait avoir beaucoup d’impact. J’espère que ce sera le cas, mais c’est difficile à dire pour le moment.